VI - Puissance

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Il était protégé. Dieu l'avait pris sous son aile et l'aidait, ce pauvre enfant maltraité de partout. Nicolas se sentit renaître d'une force incroyable. Liberté. Comment l'expliquer autrement que par une protection singulière de l'Au-Delà ? Puissant, en plus d'être libre. C'était un sentiment étrange, mais qui ramena un sourire orgueilleux sur ses lèvres.

Cette fuite n'était dûe qu'à un heureux concours de circonstances. L'attaque, déjà, alors que la paix était prête d'être signer. Nicolas ne l'expliquait que par l'idée qu'un commandant allemand n'avait pas bien écouté les ordres et ordonné le feu sur la tranchée adverse. Autre hasard : cette rencontre incongrue avec le prêtre. C'était sans doute le signe le plus manifeste que Dieu était avec lui. Et enfin, l'authentification de sa mort par un infirmier débordé.

- C'est comme si Dieu m'avait protégé pour faire de moi son envoyé sur Terre, et en Russie, afin de me venger. D'éliminer ces crapules de la surface terrestre.

Cette pensée lui réchauffa son corps glacé par cette fin d'Automne, pansa ses blessures en réconfortant son cœur et fit dire à son esprit que la chance tournait.

- Enfin.

Il s'agissait maintenant de survivre. Le combat était bien loin d'être terminé.

- Pétrograd... Il me faut Pétrograd !

Et le jeune homme se releva. Sa vue se brouilla, il retomba. La blessure était laide et il fallait la soigner. Le froid et la faim troublaient ses sens. Nicolas se sentit de nouveau envahit par une vague de désespoir et s'écria :

- Se pourrait-il, Seigneur, que Vous m'abandonniez maintenant, après avoir fait tous ces efforts pour me libérer de mes chaînes ? Mort, je suis mort !

Et Nicolas retomba à genoux sur le sol glacé en laissant ses larmes éclater. Il n'en pouvait plus de toutes ces épreuves qui passaient au-dessus de son corps. Au-dessus de son âme. Mais il ne voulait pas en finir. On lui demandait de se battre ? Soit ! Il se battrait. Mais que périssent tous ceux qui auront osé lui faire du mal ! Maintenant, il croyait fermement que Dieu l'avait pris sous son manteau : alors, plus rien ne pouvait l'arrêter.

***

Des souvenirs... Sa vie n'avait presque été qu'une large plaie béante. C'était en effet un immense privilège d'être prince, n'est-ce pas ? Oh ! Pourquoi regardait-on rarement derrière les apparences ?

Il y a sept ans et demi. 1910.

Nicolas, acculé de toutes parts, avait choisi la fuite. À contre cœur. Adieu, Aïsha. Mais si je ne pars pas, tu ne me reverrais peut-être plus jamais. Il s'était jeté dans le traîneau de son père, et avait lancé ses chiens vers le Nord. Vers la Norvège. La brume neigeuse effaçait ses traces et le dissimulait dans cette immensité plate. Il était sûr de réussir. Mais d'autres, derrière lui, étaient également acharnés.

Nicolas se souvint de cette lettre que ses doigts gourds avaient écrits. J'aurais aimé que tout fût différent... C'était son cœur qu'il livrait dans ces quelques lignes. Son cœur qu'il livrait à la bise hivernale, à l'ennemi.

Ils étaient arrivés par derrière, furieuses tâches noires dans l'immaculée enneigée. Nicolas avait senti son cœur battre plus vite et avait tenté d'accélérer. Hélas ! Lui qui croyait qu'il s'agissait toujours des paysans venus le poursuivre, ne savait pas encore qu'il avait affaire à un ennemi infiniment plus sournois. Le seul, le seul qu'il aurait pu aimer le poursuivait. Et Nicolas crut qu'il était son salut, alors il ralentit l'allure.

Kevanski.

- Mon enfant... Pourquoi t'es-tu enfuis ? Moi, je ne te voulais pas de mal.

- Mon tuteur, en Norvège, je sais que c'est mon oncle, mon tuteur maintenant. Parce que... Mais je voulais le rejoindre.

Le Prince russeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant