XVIII - Documents

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"À toute manifestation, tuer les meneurs. Pour étrangler une révolte, répondre par la force. Il faut un régime fort pour s'imposer en Russie.
Treskovitch"

"Rapport militaire du 9 janvier 1905 -
Grande manifestation dans les rues de Saint-Petersbourg, dirigée par le pope Gapone. Le comte Treskovitch, responsable des armées, ordonne la répression par la violence. La manifestation pacifique tourne en massacre. Les quelques mille morts n'ont pas eu droit à des obsèques."

"Rapport militaire du 9 janvier 1905 -
Grande manifestation dans les rues de Saint-Petersbourg, dirigée par le pope Gapone. Le comte Juvenkov, responsable des armées, ordonne la répression par la violence. La manifestation pacifique tourne en massacre. Les quelques mille morts n'ont pas eu droit à d'obsèques."

"Demande de démission du poste aux armées du comte Treskovitch -
6 janvier 1905."

Pour la énième fois, Nicolas relisait ces documents qui avaient été dissimulés dans le coffre du bureau de son père, sans les comprendre tout à fait. Il entrevoyait la vérité, mais le doute persistait et le faisait hésiter. Il se saisit des deux documents similaires, ceux qui n'avaient qu'un mot de différence : le nom du responsable aux armées. Et il observa l'écriture des deux noms. Il ne mit pas longtemps à se rendre compte que les deux documents n'avaient pas la même écriture. La barre du o était plus stylisée dans le document qui portait le nom de Juvenkov. Le tracé du e était plus fin, comme s'il avait été fait à l'aide d'une plume différente. Et le v avait une légère vague assez particulière qui le finalisait.

Il s'agissait d'extraits de cahiers arrachés, mais en s'attardant sur le papier, Nicolas comprit que le premier, le deuxième et le quatrième document avaient un grain relativement similaire. Le troisième document était d'un grain plus fin, plus noble, qui ressortait.

Enfin, dernière circonstance : la poussière avait noirci le papier blanc du deuxième document, comme s'il avait été gardé dans un lieu différent.

- Si je comprends bien, j'ai ici la preuve que le comte a ordonné aux soldats de répondre par la force à la manifestation pacifique. Une abomination. Coupable de ce crime, il a cherché à dissimuler sa faute en falsifiant la date de sa démission et en remplaçant le deuxième document par le troisième qui ne porte pas son nom. Il a pu ainsi entrer dans la fameuse communauté que dirigeait alors mon père. D'abord pro gouvernement, il s'est ensuite retourné contre lui. La communauté cherchait des solutions.

Et c'est là que la pochette, volée chez le comte avant qu'il ne soit emprisonné, se révéla​ utile. Nicolas comprit en la lisant bout à bout que progressivement le comte Treskovitch avait accru son influence pour proposer la solution extrême aux problèmes de leur société : un coup d'état. Il ne s'agissait au départ que de donner le pouvoir au prince Odov. Le comte s'entendait bien avec celui-ci et voyait en cet homme de grandes qualités qui auraient fait brillé la Russie en Occident et en Orient. Mais le père de Nicolas restait attaché à ses principes. Il estimait le Tsar et prônait plutôt une révision entière des lois du pays. Les membres du gouvernement, pour lui, n'étaient que partiellement en faute. Ces deux points de vue différents entraînèrent une dispute au sein de la communauté qui la divisa en deux. Treskovitch à la tête d'un premier groupe cherchait le coup d'état et tentait de convaincre son ami d'accepter la place qu'il lui réservait. Le prince Odov se méfiait et préférait une solution médiatique et pacifique qui aurait alerté les membres du gouvernement.


En hiver 1910, le prince refusa de venir à la réunion de la communauté. C'était pour lui une manière de montrer son opposition à l'idée de coup d'état préparé par Treskovitch. La réunion bascula sous l'influence du comte et tout s'emballa. Le prince Odov et sa femme mouraient peu après.

Le Prince russeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant