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Un bruit sourd résonna dans le néant et sa conscience s'éveilla. Elle battit imperceptiblement des cils, hésitante, les paupières encore lourdes. Ses yeux ouverts balayèrent la chambre, éclairée seulement par la faible lumière du lampadaire dans la rue. Dans la pénombre, elle distinguait les contours des meubles et de chaque objet de la pièce. Rien n'avait bougé. Ni les photographies accrochées sur les murs peints en bleu, ni les livres dans la bibliothèque ou les figurines automobiles alignées sur l'étagère. Le ballon de football de son enfance était dans son coin, son pantalon et son polo étaient posés sur le dossier de la chaise, prêts pour le lendemain matin.
Elle sursauta et tourna instinctivement la tête vers la porte quand le bruit perça à nouveau le silence. Répétitif, il semblait faire trembler les murs. Elle sentit son sang se glacer dans les draps encore imprégnés de la chaleur d'une nuit qui aurait pu être paisible. Et chaque fois que le bruit se faisait entendre, symphonie macabre de ses nuits, elle enfonçait un peu plus son corps sous la couverture et son oreiller sur sa tête.
Elle aurait fait n'importe quoi pour étouffer ce bruit, quitte à s'étouffer elle-même. La sueur perlait sur son front, les larmes montaient doucement avant de couler le long de ses joues déjà rougies. Elle eut un élan de panique en s'imaginant ce qui se déroulait juste en dessous : une main qui se levait, ou même un poing, qui s'abattait sur un corps, un visage.
Elle savait que le lendemain matin, malgré la lèvre coupée et la joue tuméfiée, sa mère répèterait qu'elle s'est encore cognée en marchant dans le noir ou en se prenant le pied dans le tapis du salon. A la table du petit-déjeuner, le tremblement de sa main ferait se cogner la petite cuillère contre les parois de sa tasse - ding dingling ding. Comme si rien ne s'était passé, son sourire coupable appuierait ce mensonge grossier.
Mais cette fois, ce sourire serait celui de trop. Insupportable, écœurante grimace sur sa figure détruite. Les couvertures volèrent, ses pieds foulèrent le parquet. Elle se dirigea à l'aveuglette vers la commode, s'accroupit et compta un, deux, trois tiroirs. Sa main s'arrêta sur le dernier, l'ouvrit à tâtons et en ressortit, fébrile, le couteau qui y était dissimulé.
Une pause. Son regard se fixa sur la lame étincelante, encore pure mais bientôt souillée. Ses yeux larmoyants s'y reflétaient : un regard de pitié et de compassion pour elle-même. Elle eut un doute, une pensée furtive vers l'ailleurs. Sur le bureau, elle prit un stylo pour griffonner à la hâte un unique mot. Un coup d'œil vers la fenêtre, vers un monde qui semblait irréel. Une peur grandissante, mais un choix déjà fait.
La porte ouverte, refermée, et le bruit de ses pas déterminés dans l'escalier.
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Rendre ses larmes à la pluie
Ficción GeneralDepuis sa naissance, Blaise est travestie en garçon par un père machiste et violent. Raillée pour sa différence par la plupart des enfants, elle est pourtant acceptée par le jeune Gabriel. La prenant sous son aile, et au fil des années, il comprend...