Chapitre 37. Ceux qui ont compté pour nous

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En arrivant en face de moi, Richard m'avait transpercé de ses yeux assassins et, d'un coup de pied dans l'estomac, il avait projeté Blaise hors de la pièce. Un simple croche-pied dans ma jambe convalescente suffit à me mettre à terre et, le temps que je me relève, il m'avait enfermé avec lui dans la loge. Blaise se jeta contre la porte et la frappait en hurlant mon prénom. Richard s'approcha de moi et, malgré mon équilibre précaire, je parvins à lui décocher un uppercut au menton, le seul coup que j'arriverai à lui donner et qu'il me rendit au centuple.

Richard semblait me frapper à la cadence des poings de Blaise sur la porte. En quelques secondes, j'eus le souffle coupé. Satisfait, il m'envoya valser dans un coin de la pièce, entre le vieux futon et une cuisinière décrépite, tandis que ma béquille retomba sur le sol non loin de l'entrée. J'aurais voulu atterrir sur le matelas...

Je ne sais même plus si j'ai perdu connaissance ou si la douleur qui irradiait ma jambe en se propageant dans tout le corps m'avait rendu sourd un instant. Toujours était-il que Richard profita de mon immobilité pour raconter à sa fille ce que tout le monde lui avait caché sur le soir de la mort de sa mère. De mon accident dont elle ignorait tout, Blaise sut l'entière vérité. Le martèlement s'estompa jusqu'à disparaître, et quand je me rendis à nouveau compte de l'endroit où je me trouvais, la porte ne nous renvoyait plus que des murmures et des gémissements. Blaise s'était écroulée derrière le mur et répétait que ce n'était pas possible. Pourtant elle savait que son père ne mentait pas. Cela expliquait tant de choses...

Quand je toussai pour reprendre mon souffle, Richard sembla se rappeler de ma présence.

- Ça a dû être dur, Gabriel, de garder un tel secret pendant tout ce temps, me dit-il d'un air faussement sympathique. Qui a décidé qu'il fallait se taire ?

- Pourquoi tu ne m'as rien dit Gabriel ?! cria Blaise depuis l'autre côté de la porte.

- Chris a voulu te préserver le temps que nous étions tous les deux à l'hôpital. C'est pour ça que je ne suis pas venu te voir. Mais même après, tu n'allais pas bien, alors on n'a rien dit, lui expliquai-je en ignorant Richard. Après, il était trop tard.

- Sacrée Christina ! T'interdire de voir Blaise, de lui parler... après ce que tu venais de faire... ce que tu avais perdu !

Il s'était accroupi à côté de moi, les coudes sur les cuisses. Je remarquai en même temps les effluves d'alcool qui émanaient de lui et les quelques bouteilles vides éparpillées dans un coin, à côté du matelas. Richard Lucas continuait de boire après tout ce que ce poison lui avait fait faire. Cela expliquait sa jubilation démente. Il voulait nous monter l'un contre l'autre mais c'était peine perdue : je n'avais plus aucune raison de mentir.

J'avais entendu un bruit de verre lorsque j'avais percuté la cuisinière. Je bougeai les mains à tâtons jusqu'à ce que mes doigts sentent un objet froid. Au toucher, je devinai le contour d'une autre bouteille.

- Bien sûr que j'avais envie de hurler ce qui m'était arrivé. Et j'en ai voulu à Blaise pour tout ça, c'est vrai. Mais pas autant qu'à moi. Et surtout pas autant qu'à vous !

Je saisis le goulot de la bouteille et la sortit brusquement de sous la cuisinière. Richard n'eut pas le temps de réagir qu'elle s'abattait sur le sommet de son crane. Je parvins à me lever afin de lui asséner un second coup au même endroit. Le verre se brisa et se répandit en dizaines d'éclats sur le sol. Puis je courus vers la porte aussi vite que mon boitement me le permit. Je tournai le loquet au moment où la main de Richard enserra ma cheville. Blaise ouvrit la porte en grand et sauta sur Richard avant qu'il ne fonde de nouveau sur moi. Elle s'accrocha à son dos, mais lâcha rapidement prise quand il se jeta contre le mur pour la faire tomber. L'instant d'après, il plongeait vers le matelas et en ressortit un vieux cutter rouillé. Il eut un petit rire triomphant quand il nous vit nous immobiliser sous la menace de la lame oxydée, et ce malgré le filet de sang qui dégoulinait du haut de son crane le long de son menton.

Rendre ses larmes à la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant