Des mois avaient passé sans que je ne revois Blaise. L'hiver approchait. Chris ne nous amenait presque plus Simon : le petit garçon enchainait les rhumes divers et sa mère préférait rester à la maison avec lui. J'arrivais enfin à me déplacer dans tout l'appartement à l'aide de mes béquilles, mais je ne quittais guère ma chambre. Je ne passais plus mes journées au lit, mais de là à dire que mon moral s'était amélioré... Ma principale occupation consistait à observer le dehors et à griffonner tout ce que j'y voyais d'intéressant. Peu de choses l'étaient pour moi à cette époque. Blaise était la seule personne qui vaille la peine d'être dessiner. Il me fallait un but.
Alors que je regardai Chris bercer Simon dans l'immeuble d'en face, de minuscules flocons se mirent à tomber.Je restai un moment à les observer, la vitre se couvrant de buée au contact de ma main brulante, jusqu'à ce qu'une irrésistible envie de sortir me prenne.
Je passai une grosse écharpe sur mon pull et descendis l'escalier précautionneusement. Je criai pour être sûr que Marie m'entende :
- Je sors !
De sa bouche s'échappa une interrogation, interrompue par le bruit de la porte qui s'ouvrait.
- Tu as besoin que je vienne avec toi ? demanda-t-elle une fois qu'elle m'ait rejoint dans l'entrée.
- Je vais juste au coin.
- Mets un manteau ! s'exclama-t-elle en même temps que je claquai la porte derrière moi.
En sortant de l'immeuble, je fus saisi parle froid sec qui me hérissa l'échine et saisit ma jambe douloureuse. Je levai la tête vers le ciel gris duquel tombait la neige. J'avais froid. J'avais mal. Mais je me sentais vivant.
C'était la première fois depuis plusieurs semaines.
J'évoluais lentement dans la rue en prenant soin de garder ma jambe bien droite. Je sentais les flocons se déposer dans mes cheveux tandis qu'ils imprimaient de vulgaires gouttes d'eau sur mes vêtements. Je tournai au coin de la rue et entrai dans la lumière chaleureuse de la boulangerie. Quand la vendeuse s'adressa à moi, je fus presque surpris d'entendre ma propre voix prendre tout naturellement la commande. Je savais donc encore communiquer avec l'extérieur. Je n'étais pas devenu un ours comme Chris le pensait. Si moi j'y arrivais, Blaise le ferait aussi. À cet instant j'en étais certain. Mais quand elle refit surface,plusieurs mois s'étaient encore écoulés...
En ressortant, je me rendis compte à quel point le chemin parcouru m'avait déjà fatigué, mais je ne voulais pas rentrer tout de suite. Je continuai dans la direction opposée à notre immeuble et fit le tour du pâté de maison. Quand j'arrivai à nouveau dans notre rue, ma mère m'attendait en bas de l'immeuble,emmitouflée dans une grosse écharpe de laine qui lui couvrait le menton, les bras croisés et les mains réfugiées dans ses manches.Je crus que je n'arriverai jamais jusqu'à elle tellement mes jambes me paraissaient fragiles.
- Va mettre un manteau, lui lançai-je en parvenant à sa hauteur.
Elle secoua la tête et passa une main dans mon dos pour me guider vers la porte. De sa fenêtre, Chris souriait, son fils gigotant dans ses bras.
Je répétai l'exercice plusieurs fois au cours des jours qui suivirent. Le médecin m'avait recommandé de le faire bien avant, mais j'avais choisi de ne pas écouter ses conseils. Là, je sortais de mon plein gré, et ça n'en était que plus efficace. Au bout d'une semaine à redécouvrir mon quartier en long et en large, les muscles de ma jambe avaient retrouvé leur fonction, et je décidai de m'aventurer plus loin.
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Rendre ses larmes à la pluie
Ficción GeneralDepuis sa naissance, Blaise est travestie en garçon par un père machiste et violent. Raillée pour sa différence par la plupart des enfants, elle est pourtant acceptée par le jeune Gabriel. La prenant sous son aile, et au fil des années, il comprend...