Même l'ombre des arbres ne nous offrait pas assez de fraîcheur pour lutter contre la chaleur étouffante de cette fin de matinée. Je me demandais comment la vieille Olivia pouvait encore tenir debout. J'avais l'air bien plus fatigué qu'elle, ce qui était dû, toujours selon notre bourgeoise en bottes de caoutchouc, à mon mode de vie languissant.
- Bien sûr, et ma béquille est là pour décorer, c'est ça ?
- Les femmes ont un faible pour les solitaires et les mystérieux . Les éclopés font partie de la même catégorie, affirma Olivia en arrachant une poignée de mauvaises herbes.
- Je vais aller faire une pause, plutôt que d'écouter vos bêtises. Vous devriez en faire autant... proposai-je en laissant tomber mon sécateur dans l'herbe.
Je traversai la terrasse et rentrai dans la maison en m'essuyant le front d'un revers de la main. Je me servis un grand verre d'eau du robinet et entrai dans le séjour. Je fus étonné d'y trouver Blaise.
- Ah, tu es là, on se demandait où tu étais passée...
Elle était allongée sur le sol, les bras et les jambes écartés comme les branches d'une étoile de mer. Elle fixait le plafond.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Je remplis l'espace, répondit-elle sans me regarder.
Je haussai les épaules, posai ma béquille contre une chaise et mon verre sur la table pour pouvoir m'allonger à côté d'elle. Le contact du carrelage froid contre mon t-shirt trempé de sueur me procura une agréable sensation de fraicheur.
- Qu'est-ce qu'on regarde ? demandai-je au bout d'un moment.
Elle me jeta un coup d'œil sur le côté.
- Tu ne vois rien ? C'est parce qu'il faut que tu écartes les bras comme moi !
- N'espère pas me faire prendre cette position ridicule...
D'un geste, elle bascula sur le côté et atterrit sur mon torse.
- Tu es trempé, constata-t-elle.
- Pendant que tu te la coulais douce ici, je travaillais, moi !
- Oh, mais quand vous parliez d'une pause, je n'avais pas compris que vous pensiez à ça, jeune homme ! s'exclama Olivia depuis la porte, un verre d'eau à la main.
Je haussai des sourcils blasés devant son petit sourire satisfait, pendant que Blaise décidait une fois de plus de rentrer dans son jeu pour la provoquer :
- Vous êtes là, Olivia ? Restez un peu avec nous, ça peut être amusant !
La vieille bourgeoise se mit à rire en déclinant poliment l'invitation. Tandis qu'elle disparaissait dans la cuisine, Blaise se releva.
- Va prendre une douche, j'ai besoin de toi en début d'après-midi.
- Pour quoi faire ? demandai-je en me redressant.
Elle me mit une feuille sous le nez en guise de réponse. Le papier annonçait une brocante dans le village voisin, le jour même.
- C'était dans la boite aux lettres ce matin. Il faut trouver de quoi meubler un peu cette maison...
À peine plus d'un kilomètre nous séparait de la civilisation la plus proche, mais le parcourir sous ce soleil de plomb me faisait m'interroger sur mes capacités à refaire le même trajet les bras chargés. Contrairement à moi, Blaise paraissait enthousiaste.
- Ton air satisfait m'épuise, lui avouai-je. Qu'est-ce qui te rend si joyeuse ?
- La simple idée de remplir la maison me comble de bonheur.
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Rendre ses larmes à la pluie
Ficción GeneralDepuis sa naissance, Blaise est travestie en garçon par un père machiste et violent. Raillée pour sa différence par la plupart des enfants, elle est pourtant acceptée par le jeune Gabriel. La prenant sous son aile, et au fil des années, il comprend...