Chapitre 17. La froideur de la pierre

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En cette chaude journée de Mai, le Jardin des plantes était rempli d'étudiants et de joggeurs venus se détendre ou se défouler pendant leur pause déjeuner. Les allées fleuries faisant face au Musée d'Histoire naturelle régalaient à la fois le regard et l'odorat de mille couleurs et senteurs parfumées. Le soleil était au zénith : c'était le temps idéal pour profiter du Jardin à l'ombre des arbres.

Un rayon traversa les branches du platane sous lequel j'étais assis et vint frapper la feuille où j'étais en train de crayonner. L'éclat de lumière m'obligea à fermer les yeux. Quand je les rouvris, Chris avait pris place à côté de moi et était penchée vers mon dessin, une reproduction des tournesols qui se trouvaient en face de moi.

- Tu as enfin changé de modèle... Et de carnet... déclara-t-elle en constatant que la couverture de moleskine avait changé de couleur.

- J'avais fini l'autre, répliquai-je sans lever le nez de ma feuille.

- Pourquoi tu n'es pas en cours ?

Mon crayon resta suspendu au-dessus du carnet. Je souris : Chris ne comptait pas tourner autour du pot. Je décidai de tenter quelque chose.

- Il est treize heures, je suis en pause.

- Ne joue pas à ça avec moi, Gaby. Nous sommes mardi, tu as cours de 10h à 14h et de 15h à 18h.

- On voit que ton mari est flic... plaisantai-je en fermant le cahier et en le glissant dans mon sac.

Sans que personne ne soit au courant, j'avais définitivement déserté l'université. Après presque un an passé à tourner en rond dans les couloirs et les salles de classe dans le seul but de passer le temps en attendant le retour de Blaise, je ne comptais pas, maintenant qu'elle était revenue, l'abandonner au profit de chaises en bois du siècle dernier. Maintenant qu'elle était là, je voulais redevenir celui que j'étais avant : un soutien, silencieux mais toujours présent,une béquille de secours – voyez l'ironie de la situation...

Dans tous les cas, je voulais pouvoir être là, chaque fois qu'elle le demanderait, dès qu'elle en aurait besoin, même quand elle-même ne le savait pas.

- C'est pas très malin tout ça... fit Chris sur un ton moralisateur.

- Tu ne diras rien à ma mère, si ?

Chris pouffa et me tapota doucement l'épaule.

- Crois-moi, mon vieux : Marie est bien le dernier de tes soucis ! C'est de Blaise dont tu devrais faire attention.

Je la regardai en fronçant les sourcils, attendant la suite.

- Tu auras l'air idiot quand elle débarquera dans un de tes cours et qu'elle te prendra en flagrant délit d'absentéisme...

- Elle veut venir à l'université ?! m'étranglai-je.

Chris éclata de rire.

- Tu ne t'y attendais pas à celle-là, n'est-ce pas ? Toi qui te vantes de vouloir rester auprès d'elle, tu préfères flâner dans les parcs en gardant tes distances. Heureusement que tu m'as, Monsieur je-suis-là-pour-elle, parce qu'elle t'aurait bien eu en venant à toi sans prévenir.

Je restai interdit quelques secondes, en pleine réflexion. Chris me sortit de mes pensées en me donnant un coup de coude dans le bras.

- Alors, fit-elle avec un grand sourire, lequel des deux est prêt à être la béquille de l'autre maintenant ?

Blaise marchait lentement dans les allées du cimetière du Montparnasse. Longeant les tombes grisâtres, son regard parcourait les noms gravés dans les dalles de pierre et de marbre. Quand elle arriva à un croisement, elle remarqua à sa gauche, au bout de l'allée de frênes, la statue du Génie du sommeil éternel,majestueuse au centre du cimetière.Elle l'observa un moment, sans savoir si elle voulait faire un détour pour la voir de plus près. Puis elle tourna à nouveau la tête,vers le chemin qui continuait en face d'elle, et s'y engagea.

Rendre ses larmes à la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant