Chapitre 14. De l'art d'être soeur

10 0 0
                                    



Allongée sur le sol, Blaise s'occupait tant bien que mal à l'aide d'une balle de tennis, en l'envoyant en l'air et en la rattrapant. Elle affichait une moue à mi-chemin entre la tristesse et la résignation, et qui dénotait toute la monotonie de son jeu. Elle faisait cela depuis près d'une demie heure et s'ennuyait ferme. Seule dans sa chambre, elle était obligée de s'amuser avec les vieux jouets que son père lui avait acheté étant enfant. Les voitures miniatures et les soldats de plomb ne l'intéressaient plus depuis longtemps, mais son père avait refusé d'en acheter de nouveau, affirmant que ceux-là étaient tout ce dont un garçon avait besoin pour s'épanouir en tant que tel.Elle avait parfois failli lui demander des jeux qui n'étaient pas fait pour les garçons, mais elle serrait chaque fois les dents et s'obligeait à se taire : elle ne voulait pas recommencer l'éternelle dispute autour de son obligation à lui obéir, peu importe qu'elle ne comprenne pas pourquoi elle devait jouer ce rôle idiot. Finalement, le costume qu'elle portait chaque jour était un jeu en soi, mais un jeu qu'elle n'avait pas choisi. Un jeu qu'il était risqué de perdre.

À la place des jouets pour filles dont elle rêvait depuis la maternelle et qui – elle les avait bien – lui seraient refusés, elle profita d'une publicité qui passait à la télévision pour lui demander une console de jeux vidéos. Richard leva des yeux indifférents vers l'écran.Constatant que tous les enfants présents dans la publicité étaient des garçons, il hocha légèrement la tête avant de se replonger dans son journal.

- Tu attendras Noël, gamin. Ça coûte une blinde ces machins...

Blaise grimaça : nous étions en juillet. Décembre était encore loin.

En attendant, Blaise devait passer les vacances d'été comme elle le pouvait, en se contentant de ce qu'elle avait dans sa chambre. La balle continuait son aller-retour entre la main de Blaise et l'air de la chambre, quand la petite fille sortit brutalement de ses pensées, réveillée par du bruit provenant de la chambre d'à côté. En tendant l'oreille, elle entendit clairement de la musique, sans doute jouée par le lecteur CD de Chris. La voix de sa sœur résonnait sûrement dans tout l'étage vu la volonté qu'elle mettait à chanter. Blaise reconnut sans peine la chanson quand Chris arriva au refrain et hurla : « My heart wiiiiill go OOOON and OOOOOOON !!! »

Blaise ne put retenir un rire et se mit à pouffer. Sa main rata la balle au moment où elle retomba et rebondit sur la tête de Blaise, lui arrachant un petit « Aïe ! ». Elle se frotta la tête à l'endroit de l'impact puis se leva et gagna le couloir. Elle s'arrêta devant la chambre de sa sœur et plaqua son oreille contre la porte.La musique avait changé, et Chris se contentait de fredonner. Quand elle se tut, Blaise entendit le petit déclic signifiant que sa sœur avait remis le CD au début. La voix de Céline Dion chantant « My heart will go on » retentit à nouveau, bientôt surmontée parcelle de Chris, nettement moins maîtrisée. Blaise réussit à se retenir jusqu'au refrain avant d'entrebâiller la porte. En regardant dans la chambre, elle vit Chris debout face à la fenêtre, habillée d'une robe longue appartenant à leur mère et qu'elle avait enfilé par-dessus ses vêtements, les jambes serrées et les bras en croix dans la même position que Kate Winslet sur le pont du Titanic dans son film préféré.

Blaise plaqua ses deux mains sur sa bouche pour ne pas pouffer, mais quand Chris entonna à nouveau le refrain, elle n'arriva plus à se retenir. Sa sœur se retourna en entendant son éclat de rire sonore et, apercevant sa cadette hilare dans l'encadrement de la porte, essaya de garder une contenance malgré la gêne qu'elle ressentait pour avoir été ainsi prise sur le fait. Alors que Blaise essayait de se calmer et essuyait une larme au coin de ses yeux, Chris se planta devant elle.

- Tu n'as rien de mieux à faire que d'espionner les gens ? demanda-t-elle, les deux mains posées sur les hanches.

- Pas besoin de t'espionner : je t'entends jusque dans ma chambre !

Rendre ses larmes à la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant