Huitième nuit

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La suite de la semaine ne fut qu'une série d'échec. Une défaite. Puis deux. Et trois. Je n'avais perdu jusque là que des souvenirs mineurs : Ma première dent de lait. Mon premier doudou. Et mon premier petit copain, qui pour mon plus grand bonheur n'était qu'une amourette de maternelle dont les souvenirs étaient enfouis si loin qu'il ne m'en restait qu'une bribe.

Nous en étions à la huitième nuit. J'en étais à ma énième défaite. Nous étions, avec Gabriel, passés par diverses épreuves. La plupart était d'une banalité affligeante mais d'une difficulté aberrante.

La cinquième nuit, nous avions du lancer des fléchettes sur une cible en constant mouvement et à plus de vingt mètres. Dois je préciser que les fléchettes étaient soit si brûlantes, soit si glacées que j'en ai gardé des traces aux doigts durant des jours?

La sixième nuit, nous avions réalisé une course d'orientation diabolique où la carte changeait chaque minute, en même temps que la position des balises. Nous avions mis une éternité à terminer la compétition pour finalement arriver derniers.

Et enfin la septième nuit, nous avions fait une dictée avec un crayon qui laissait derrière lui des fautes d'orthographe.

Nous avions échoué lamentablement à chaque épreuve.

Pourtant la seule chose qui me laissait un goût amer dans la bouche, c'était la trahison de Rebecca. Le lendemain de son acte de lâcheté indescriptible, celle ci n'était pas venue en cours. C'était Gabriel qui me l'avait dit durant la cinquième nuit lorsque nous nous étions "réveillés" dans le parc seulement à deux et non pas à trois comme les fois précédentes. Nous n'avions pas pris de ces nouvelles et elle non plus. Nous ne voulions plus avoir à faire avec elle. Cependant... Je ne pouvais cesser de m'inquiéter...Car elle n'était pas venue au collège le jour suivant et celui d'après.

D'un commun accord, nous nous étions rendus chez elle. Sa mère nous avait poliment accueillis en nous expliquant que Reby était souffrante et ne pouvait plus se lever de son lit. J'étais pourtant persuadée d'avoir vu les rideaux de sa chambre bouger comme si quelqu'un les avait rabattus précipitamment.

Nous n'avions pas cherché plus loin. Rebecca nous évitait comme la gale. Elle avait trop peur des conséquences de son acte. Et elle avait raison d'en être effrayée.

Nous étions en direction de la dernière épreuve susceptible de nous faire gagner l'as de pique : La maison hantée.

Un zombie nous accueillit. Son teint verdâtre semblable à la couleur de la mousse en décomposition et ses membres déchiquetés nous laissaient de marbre. Nous avions vu bien plus terrifiant dans ce songe.

-Méfiez vous des apparences jeunes prétentieux, nous confia un vieil homme qui se baladait dans le parc et passait par là. Vous rirez moins à l'intérieur!

Nous frissonnâmes face à cet avertissement glacial puis nous nous avançâmes vers le monstre.

-Bienv...

- On connaît le couplet, le coupai-je, aussi froidement que le vieil homme. Annoncez la couleur.

L'abomination ne parut pas déconcertée et nous désigna la maison délabrée. Les murs à moitié défoncés laissaient apercevoir des pièces remplies de vieux meubles entre lesquels de grandes toiles d'araignée s'étaient tissées avec le temps.

- Vous n'avez qu'une seule mission, entrer dans la salle principale et...en ressortir par l'autre côté en moins d'une minute.

- C'est tout? ricana Gabriel.

Puis il commença à se diriger vers l'entrée lorsque je le retins par le bras, les yeux froncés.

- Attends, le prévins-je. C'est une maison des horreurs. Il y a forcément quelque chose de terrifiant là dedans.

- Et alors? rétorqua-t-il. Il nous faut ces cartes et si tu as trop peur pour entrer dans cette pièce j'irai seul!

Il se dégagea facilement et poussa la porte principale. Celle ci se referma derrière lui en grinçant. En quelques secondes, des cris tonnèrent dans toute la maison. Des cris profonds, horribles, sincères. Quelqu'un martelait la porte d'entrée et la secouait pour l'ouvrir. Elle semblait cependant désormais aussi solide qu'une porte en acier.

- Gabriel! hurlai-je.

Je me ruai sur la porte et tentai de l'ouvrir mais impossible de la bouger ne fut ce que d'un centimètre.

-Gab! mugissais-je d'une voix désespérée.

Mais celui ci ne semblait pas m'entendre et continuait de gémir.

- Ouvrez la porte! ordonnai-je au zombie qui me regardait avec délectation de son seul œil valide, l'autre ayant disparu de son orbite, vide.

- Navré, ce serait contraire au règlement, me sourit il. J'ai l'impression que votre ami veut faire demi-tour mais il doit franchir la pièce, pas rebrousser chemin. Et puis c'est déjà terminé. Votre ami a échoué.

En effet les cris avaient cessés, remplacés par des gémissements qui s'éloignèrent de plus en plus.

- Vous rejoindrez votre ami dehors, me précisa le monstre. C'est à votre tour.

Je me mordis la lèvre. Que diable contenait cette salle? La porte s'ouvrit et j'entrai. J'avais l'impression de tanguer en haut d'une falaise vertigineuse. Qu'est ce qui m'attendait?

La porte se referma.

Il faisait noir. Je pestai. Comment trouver une sortie dans l'obscurité?
Puis en une seconde, De faibles lumières éclairèrent la salle. Je crus que j'allais m'arracher les cheveux. La pièce était vide. Aux murs, une cinquantaine de portes toutes identiques !

Soudainement une voix que je ne connaissais que trop bien résonna dans toute la pièce en se répétant en boucle. C'était celle du joker.

"YOU LOSE! Nous sommes au regret de vous informer que vous avez échoué! Vous allez perdre tous vos souvenirs! YOU LOSE! Nous sommes au regret de vous informer que vous avez échoué! Vous allez perdre tous vos souvenirs!...

-Non...murmurai je. C'est impossible...Je viens de commencer...

Les larmes me montèrent aux yeux. Je voulus revenir en arrière. Alors, je me ruai sur la porte d'entrée tandis qu'un joker apparaissait au centre de la pièce, comme un fantôme, dénué de couleur, fade, grisâtre et s'avançait lentement vers moi en ricanant.

-Laissez moi sortir! Je vous en supplie! NON! vociférai je en me collant contre la porte pour m'éloigner au maximum de la main squelettique que la silhouette délavée tendait vers mon crâne.

-Veuillez laisser la transaction s'effectuer. Veuillez laissez...

Je m'effondrai le long de la porte, les bras croisés devant ma tête. Mais alors que le joker allait me toucher, je réalisai que ce n'était qu'un manège parmi tant d'autres. Je ravalai ma salive, inspirai et roulai sur le côté pour esquiver le fantôme, qui, je supposais, n'était que la représentation d'une de mes plus grandes frayeurs.

Je me ruai sur la première porte qui se présentait à moi. Dans ma tête un chrono s'était enclenché. Encore quelques seconde . J'appuyai alors de toutes mes forces sur la poignée.

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