Faites vos jeux!

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"Comment ça le train ne s'est pas arrêté à Lyon ? beuglai-je à l'employé du train.

Nous étions toujours dans le train et n'étions même pas arrivés à destination que déjà les ennuis nous tenaillaient.

Le contrôleur, dont le teint virait au rouge, bégaya qu'il y avait bien eu un arrêt à Lyon mais qu'aucune halte n'avait jamais été prévue à cette ville et que nous l'avions dépassée depuis un moment. Je jurai en me rasseyant, le visage enfoui dans les mains. L'homme repartit d'une foulée rapide en maudissant sûrement son métier. 

-Je suis désolé c'est moi qui ai pris nos tickets. Je ne m'étais même pas rendu compte que...

-Laisse tomber, ruminai-je.

-On aurait pu descendre, laisser le train partir et en reprendre un autre, insista Gabriel.

-On dormait ! hurlai-je. 

Gabriel me lança un regard lourd de reproches et détourna le visage pour observer le paysage qui filait derrière les fenêtres. 

-Excuse moi, murmurai-je. C'est toi qui finance ce voyage et je suis exécrable... 

-Ce n'est rien, répondit mon ami.

Puis, suivant son regard, j'observai les dunes mouillées qui s'étendaient à perte de vue. La pluie s'acharnait toujours sur le pays, ne laissant que rarement apercevoir ne serait ce qu'un infime rayon mordoré du soleil. Le sublime coucher de soleil de la veille me laissait un gout amer de nostalgie. Les clairières d'herbes parsemées d'arbres secoués par le vent semblaient mouvoir comme une mer agitée. Et nous en étions les pirates. Les souvenirs de la nuit me revenaient à l'esprit, tel un roman dont on tourne les pages à l'envers pour revenir au commencement.

***

Après l'annonce du joker, la panique nous submergeant, nous nous étions précipités vers la première attraction en vue. Après une bonne heure d'attente infernale dans une queue où régnait une ambiance pesante, où filaient insultes, croches-pattes et bousculades violentes, nous étions enfin arrivés devant un immeuble aux teintes jaunâtres.  j'étais passée en première, en jetant un dernier coup d'œil à Gabriel qui m'avait regardé le visage déformé par l'inquiétude.

Une fois à l'intérieur, j'avais cru à une mauvaise blague. Mais le joker ne plaisantait jamais.  En effet, la salle était un luxueux casino. La devanture de l'immeuble ne laissait rien présager de tout cela. Des machines à sous étaient réparties un peu partout, tout comme des tables de cartes vertes pétantes. Les lumières éclaboussaient les murs, les couleurs chatoyante aspergeaient la pièce et le bruit inondait l'espace où planait un amusement mais aussi une tension certaine  . Les deux colosses vêtus de noir de la tête aux pieds qui m'avaient accompagnée  me guidèrent jusqu'au centre de la pièce où une table ronde en bois tapissée de vert trônait.  Autour de celle ci, quatre autres joueurs semblaient patienter depuis un moment. Lorsque j'avais compris de quoi il retournait j'avais juré en soupirant. 

Je n'avais jamais été doué pour le poker. 

Ce qui semblait être le cas de tous les autres concurrents sauf celui d'un homme. Ce qui ne présageait rien de bon. Celui ci avait le crâne dégarni, le visage ridé, et un cigare entre les dents. Je suivais la fumée qui s'en échappait quand la première carte avait glissé jusqu'à ma main. Puis une deuxième était arrivée au même endroit. 

Avant de les voir, comme les règles le stipulent, j'avais saisi un jeton et lancé ma mise de départ, suivie des autres concurrents. La partie était lancée. 

Ce fut une cataclysme. Je misais à tort et à travers, relançais des mises inutilement, me couchait sans prendre de risques qui en valaient la peine au bout du compte ! 

Les larmes aux yeux, je voyais mes piles de jetons se rapetisser dangereusement. L'homme au cigare avait sourit. Jusque là avachis au fond de sa chaise un bras sur le dossier, il s'était avancé et avait posé ses avant bras sur la table. Puis il avait retiré son cigare de ses dents et exhalé un nuage de fumée à l'odeur nauséabonde. 

- Vous n'êtes pas de taille, ricanait-il en lançant trois jetons de cinquante. Je suis un pro, j'y joue depuis l'âge de dix ans.

-Ce n'est pas habituel pour un gamin de s'intéresser si jeune à des jeux d'argent... avais je rétorqué en suivant sa mise avec la folie du désespoir. 

Le croupier avait dévoilé une autre carte qui rejoignait les trois précédentes. Mon cœur s'était arrêté mais je faisais mine de ne rien avoir remarqué.

-Dans la clinique où je suis allé, c'était la seule occupation digne de ce nom, avait-il craché en misant cent cinquante de nouveau sans se rendre compte de l'énorme bêtise qu'il venait de faire. J'en suis devenu accro et je n'ai plus jamais décroché. Alors abandonnez. 

Le mot "clinique" réanima en moi un souvenir enfoui profondément parmi tant d'autres. je m'étais relevée en bondissant de ma chaise et fixait si intensément l'homme qu'il avait détourné le regard une seconde. 

-Quelle clinique ? avais je murmuré en suivant la somme posée par l'homme. 

-Et en quoi ça vous regarde ? 

-Je vous laisse gagner cette partie si vous me parlez de cette clinique, avais-je tenté.

-Je vais gagner de toute façon, alors qu'est ce que j'ai à craindre? 

-Perdre tout ce que vous venez de miser.

L'homme avait commencé à ricaner, puis, avait réalisé après un calcul rapide, que la somme mise en jeu permettrait à celui qui la gagnerai de remporter la partie. Il avait observé les cartes dévoilées : Trois de trèfle, as de pique, valet de cœur et cinq de carreau.

Sa main était prise de tremblements incontrôlables et son visage se décomposait. Il m'avait ensuite dévisagé et sa bouche s'était déformée sous le coup de la peur.

-Oups ! m'étais-je exclamé en lâchant mes cartes qui tombèrent faces découvertes.

J'avais repris lentement mon deux de trèfle et mon roi de coeur , un sourire machiavélique étalé sur mes lèvres. Les siennes tremblaient furieusement . Puis ses lèvres se soulevèrent doucement.

-Tu n'as pas encore de suite, avait-il remarqué.

-J'ai confiance en ma chance. 

Je n'étais pas du toute confiante en réalité, mais misais tout sur ma capacité à modifier légèrement mon rêve comme je l'avais fait durant la course de moto. Capacité que les autres joueurs ne semblaient pas contrôler. Alors j'avais fermé les yeux et puisé au plus profond de mon être la puissance capable de modifier la carte qui allait tomber.

Le croupier me dévisageait, je le sentais car l'homme au cigare avait beuglé :

-Bon vous allez la mettre votre foutue carte bordel ?

Je sentais le monde qui m'entourait comme une pièce de théâtre, comme une dystopie imaginaire, comme un monde merveilleux où les chats sourient, où les chenilles parlent, et où les cartes marchent. Entre les méandres de mon esprits, celles ci prenaient vie et celle que je désirais le plus, s'octroyait la première place de la pile. 

J'avais rouvert les yeux, et observé avec ravissement la carte ornée de quatre cœurs rouge écarlates se déposer comme au ralenti sur le tapis vert émeraude.

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