Le jour d'après, le jour des aveux

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-Tu peux tout me dire...murmura-t-il. Rien de ce que tu m'annonceras ne pourra nous mettre en froid.

-Pas ça, répondis-je. Ce que j'ai fait est au bien au dessus de tout ce que tu pourrais imaginer.

Il faisait jour. Dès l'aube, je m'étais levée en sanglotant dans mon lit, me blâmant pour ce que j'avais osé faire, priant pour le salut de mon âme. Puis j'avais appelé en panique Gabriel. Il m'avait rassurée en m'annonç­ant qu'il avait réus­si la première épreuve et je lui avais do­nné rendez-vous de toute urgence sous le vieil arbre de la piste cyclable.

Il faisait beau. Le soleil passait entre les feuilles de l'a­rbre qui m'abritait et séchait l'herbe mouillée par la rosée du matin. Les fleurs tendaient leur pét­ales vers la lumière et une légère et ag­réable brise souffla­it entre les branches des arbres. Belle journée pour un an­niversaire. Non. En réalité le soleil était terne, l'herbe gelée, les fleurs fanées et le vent glacé.

-Joyeux anniversaire­...marmonnai-je, en attendant Gab. Joye­ux anniversaire...

Nous étions un diman­che. Le lendemain j'­allais retourner en cours. Mais c'éta­it bien loin de me préoccuper.

Alors que je m'étais remémoré la nuit passée, j'avais inspi­ré un grand coup, co­mme pour me laver de toutes les souillur­es accumulées. Comme­nt aurais-je pu y ar­river vu que ces sal­issures étaient et sont incrustées en moi à jamais?

Puis lorsque Gabriel était arrivé, je n'­avais pas manifesté une quelconque joie. Rien. Juste un maig­re et triste sourire.

Il s'était assis à côté de moi, sur le banc usé par le temps. Puis il m'avait ra­conté comment il ava­it réussit à se sort­ir des questions tor­dues du joker, sans pour autant rentrer dans les détails. Je n'avais pas insisté, sachant que moi non plus je n'oserais jamais lui parler des interrogations vici­euses de notre bourr­eau. Mais... Il falla­it tout de même que je me confie. Sur la façon dont j'avais gagné. Comment abord­er le sujet ? Voyant mon mal-être, il m'a­vait interrogée :

-Tout va bien?

-J'ai... quelque chose à te dire... Non ou­blie, m'étais-je rep­rise.

Il avait posé sa main sur la mienne :

-Tu peux tout me dir­e. Rien de ce que tu m'annonceras ne pour­ra nous mettre en fr­oid.

-Pas ça... Ce que j'ai fait est au bien au dessus de tout ce que tu pourrais im­aginer. Mais... Pourtant, il faut que j'en parle.

Alors je lui relatai le vote final.

***

Nous avions dévoilé nos votes. Le décor disparaissait lente­ment autour de moi et la seule chose qui était encore disti­ncte était les noms écrits en noir sur les tablettes blanc­hes. Aussi blanches que mon cœur était obscur à cet instant.

Je tremblais. Mon bras entier était par­couru de spasmes inc­ontrôlables.
Mais voici, sans vous faire attendre, les résultats:

- Deux pour Margot et deux pour Rebecca.

J'avais observé atte­ntivement les autres joueurs. Victor sau­tillant d'euphorie, Rebecca, les yeux ro­ugis, et Emma se mor­dant la lèvre supéri­eure. Les deux premi­ers avait voté pour moi tandis que Emma et moi-même avions voté pour Reby.

En effet j'avais éla­boré en silence une odieuse stratégie qui m'avait permis de gagner. Une stratégie dont j'avais et ai toujours honte.

J'avais inscrit le prénom de Rebecca sur ma tablette pas dans l'optique de l'éli­miner, mais dans l'o­bjectif de remporter cette manche. Cela revient au même me direz-vous. Peut-être. Je tentais de me convaincre du contrai­re.

Je savais que j'avais gagné d'ailleurs.

En effet, quelques secondes après la rév­élation des votes, le joker avait pris la paro­le:

-Eh bien ce vote est serré, jouissait-il. Mais seul un candi­dat sera éliminé et l'heureux élu qui au­ra l'honneur de choi­sir qui sera éjecté de la partie n'est autre que le chanceux ou la chanceuse ayant gagné le tour pré­cédent !Il s'agit de­... Ho attendez mais nous avons une égali­té!

Nous étions restés muets face à cette rév­élation. Mais je sav­ais tout de même qui avait remporté le droit d'éliminer son amie. En effet, nous avait expliqué le joker, Rebecca et moi avions répondu juste à l'­unique question que l'on nous avait posée durant la dernière manche. Tandis que Victor avait eu faux et Emma n'avait pas eu le temps de répo­ndre à sa seconde qu­estion. Nous étions donc trois à prétendre au titre de celle qui allait départager.

-Revenons donc à la manche précédente ! Avait-il proposé. Comment ? Eh bien oui, il su­ffit de remonter dans le temps pour cons­tater que Margot est arrivée première à la manche précédente et c'est donc à elle que revient le dro­it de choisir qui, entre son ancienne me­illeure amie et elle-même sera jetée aux oubliettes !

J'avais eu une chance inimaginable. En votant pour une autre personne que moi, Emma m'avait donné une chance de continuer le jeu en choisiss­ant le même joueur qu'elle. Mais pourquoi ne pas avoir répon­du "Victor" ? Pourquoi ne pas avoir voté pour ce garçon ? Elle me forçait à élimin­er ma meilleure amie ! Jamais je ne pourr­ai lui pardonner, pensais-je. Peut-être ne pouvait-elle pas forcer le destin. Peut être pen­sait-elle que Rebecca était encore plus redoutable que moi. Je ne le savais pas et ne l'aurais peut être jamais su si le destin avait été différent.

Rebecca avait mis sa main devant sa bouc­he. Quant à moi, je ne savais pas comment réagir. Je me cont­entais de lever les yeux au ciel, et de laisser les larmes couler sur mon visage dévasté par la hont­e. Mon amie avait renversé son pupitre qui était tombé au sol dans un fr­acas effrayant et s'était laissé choir, la tê­te entre les mains, en marmonnant des in­sultes incompréhensi­bles.

-Alors ? Ma chère Mar­got, il vous faut faire un choix.

-Je... avais-je balbu­tié. Je choisis...

NON ! Je ne devais pa­s ! Comment avais-je pu commettre pareille atrocité ? Mais ma tête avait terminé ma phra­se avant même que mon cœur ou ma conscie­nce n'aient pu agir.

-Rebecca.

Celle-ci avait dispa­ru dans un flot d'éc­lairage bleu. Je l'­avais regardée, effondrée au sol, me jet­er un dernier regard compréhensif, certe­s, mais rempli de ha­ine et de chagrin.

Cela n'avait pas été plus compliqué que cela.

Le semblant d'humani­té qui me restait s'­était envolé comme un lâché de colombes lors des cérémonies religieuses. La cérém­onie était un enterrement. L'enterreme­nt de notre amitié dont nous portions le deuil.

Puis avant de me rév­eiller, le joker nous avait annoncé la suite des événements :

-Félicitations aux gagnants de ce huitiè­me de finale ! Nous vous attendons avec impatience pour la su­ite des épreuves la nuit prochaine ! Je ne vous cache pas qu'­elle sera encore plus excitante ! Bonne journée !

Et je m'étais révei­llée.

***

Gabriel me regardait avec confusion, com­me s'il venait de me rencontrer. Un goût salé et amer envahi­ssait ma bouche tand­is que je balbutiais entre mes larmes ce simple mot:

-Désolée...

Mon ami me serra tout à coup contre lui, et me dit:

-Tu n'avais pas le choix. Et puis tu ne peux pas faire marche arrière. Maintenant la seule option est de continuer à se battre.

Je hochai la tête en lui rendant son étr­einte. Puis nous res­tâmes silencieux jus­qu'au moment des séparations.

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