Alice entre chez la reine rouge

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 Je me réveillai en sueur, le corps tremblant, l'esprit en folie. Mais cette fois ci, c'était différent. J'avais des hauts-le-cœur abominables, et hoquetais avec fureur. Avec toutes les forces dont je disposais, j'appuyai sur le bouton rouge d'urgence en priant pour que ce soit Elisabeth qui vienne. Lorsque la porte de ma chambre s'ouvrit, j'étais debout, et chancelais pour atteindre la silhouette floue qui entrait dans la pièce.

-Margot ? demanda une voix que je reconnus comme étant celle d'Elisabeth.

Cette dernière courut jusqu'à moi et me força à me rasseoir sur mon lit.

-Y faut... commençai-je. Y faut al...al...

-Comment ? interrogea-t-elle.

-Il faut y aller. Vite.

Comprenant ce à quoi je faisais allusion, Élisabeth secoua la tête de droite à gauche et me chuchota à l'oreille qu'il en était hors de question.

-Tu as vu ton état ? Le plus urgent est d'appeler le docteur.

-Il sait qu'on le cherche. Il va partir si ce n'est pas...déjà fait, articulai-je tant bien que mal. Je t'en supplie, nous sommes si proches... C'est sûrement notre dernière chance ! Si nous n'y allons pas je suis... nous sommes déjà mortes!

Une lueur indéfinissable mais que je compris plus tard comme étant un éclair de compréhension traversa son regard. Elle ouvrit la bouche, mais finalement acquiesça avec vigueur.

-Mon collègue somnole depuis quelques heures. Je pense que c'est l'occasion ou jamais, expliqua Elisabeth. Mais je te préviens, je ne te laisserai pas prendre de risques inutiles !

Puis elle me souleva doucement et me conduisit jusqu'à l'entrée du secteur jeune où elle tapa le code de sécurité. Une fois dehors, dans les couloirs du centre, au lieu de se diriger vers la sortie principale, elle se hâta en suivant les lumières des sorties de secours.

-Merci, marmonnai-je.

-Ne me remercie pas. Pas encore, rétorqua-t-elle.

Elle me pressa jusqu'à la sortie arrière puis me conduisit vers sa voiture où elle m'intima de monter. Pendant que je m'exécutais avec maladresse, elle observait les alentours. Puis elle grimpa devant le volant, et démarra. Sans attendre que je m'attache, elle enclencha une vitesse et appuya violemment sur la pédale.

-On y va, lança-t-elle en sortant du parking.

Alors nous partîmes pour l'ultime épreuve de ce jeu saugrenu, et pas des moindres.

***

-Nous y sommes.

Nous étions face à un immeuble tout à fait banal, quoiqu'un peu délabré. Ni trop moderne, ni trop vieux. Façade blanche écaillée, fenêtres aux stores coulissants cassés ou aux rideaux colorés déteints, quelques papiers par terre, des lampadaires allumés grésillants, et un concierge qui fumait une cigarette.

Mon esprit flottait entre rêve et réalité. Je nageais dans un océan confus et trouble. Les sons me parvenaient déformés. Aussi, je fis mine de comprendre lorsque Elisabeth s'adressa à moi. Puis quand elle s'avança vers le bâtiment, je réalisai qu'elle m'avait invitée à la suivre. Je fis un pas dans sa direction, puis deux. Mon cœur battait à la chamade. Je tremblais. Était-ce le froid ? Je ne sais pas. Mais je continuais. Trois pas, quatre, cinq, six. Nous étions dans le hall. Sept, huit, neuf et dix. Et, par je ne sais quel tour de sorcellerie, nous nous retrouvions face au numéro 31 de l'immeuble, au dernier étage.

-Margot ?

Je sursautai en réalisant qu'Elisabeth me regardait avec inquiétude et avait posé une main sur mon épaule.

-Tout va bien, annonçai-je tandis que mes sens reprenaient le dessus.

En effet, l'odeur d'alcool qui empestait dans l'air me parvenait désormais nettement, tout comme le son du piano provenant d'un étage au dessus et en total désaccord avec le lieu, ou encore le froid mordant qui pénétrait tout mon corps.

-Qu'est ce qu'il t'arrive ? questionna-t-elle. Ce sont les rêves ? N'est-ce pas ?

-Non, mentis-je. J'ai juste du mal à réaliser que nous y sommes... murmurai-je.

-Je m'inquiète pour toi ... N'en fait pas trop, d'accord ? me conseilla-t-elle. Cherchons donc un moyen d'entrer.

Comme si c'était une évidence, je m'appuyai sur la poignée avec la folie du désespoir.

-Je crois que nous n'aurons pas à réfléchir bien longtemps, rétorquai-je en poussant la porte.

-Bravo Sherlock, me taquina l'infirmière.

Souriant comme sourirait un enfant fier, je m'avançai dans le couloir d'entrée. La musique s'amplifia. Je n'en crus pas mes yeux en pénétrant dans l'antre du joker comme Alice entre dans le palais de la reine rouge.

***

Des photos. Des centaines de photos. Placardées à un tableau en liège aussi long que le mur de plusieurs mètres de surface.

Mais commençons par le commencement. En entrant dans le couloir, je n'avais presque pas été surprise en découvrant un lieu en total contraste avec le hall délabré. De luxueux meubles roses aux ornements dorés longeaient les murs auxquels des cadres de photo vides étaient accrochés. Des fleurs fanées pendaient d'un pot en verre et un somptueux tapis aux teintes rosées était étalé le long du corridor. Une poupée au yeux arrachés étaient posée sur une étagère. Son regard mort semblait nous fixer, nous lançant un avertissement silencieux. L'ambiance morbide nous glaça d'effroi.

Nous nous étions avancées prudemment, tentant d'entendre un son suspect. Mais il n'y avait que le piano. Rassurées par la présence d'un éventuel voisin chez qui nous aurions pu nous réfugier, nous avions entrepris de fouiller l'appartement. Nous avions découvert une cuisine, rose, dans laquelle pendaient des couteaux. Longs, luisants... Une chambre, rose, où une table de chevet était recouverte de papiers en désordre. Une salle de bain, rose. Et un salon, entièrement rose, ou siégeait une table basse soutenant un saladier en argent. cette couleur devenait effrayante par son ampleur.

Mais le pire, ce fut lorsque nous étions arrivées dans une salle sans lumières. Après avoir cherché l'interrupteur et allumé la lampe, nous avions été ébahies, terrorisées. La pièce était vide, si l'on omettait le tableau en liège où étaient épinglées des centaines et des centaines de photos. Des hommes, des femmes et même des enfants. Souriants, la plupart des visages étaient barrés d'une croix rouge.

Je frissonnai, et eus un mouvement de recul.

-Qu'est ce que c'est ? souffla Élisabeth.

-Ce sont... c'est nous ! m'exclamai-je en remarquant une photographie de moi.

Puis juste à ses côtés, une image de Gabriel, et un peu plus haut celle de Rebecca, rayée de rouge.

-Mais pourquoi ? s'interrogea Elisabeth.

-Aucune idée...Il est peut être juste complètement perturbé. Ce qui me dérange c'est plutôt de savoir comment il a eu ces photos.

Il faisait froid. Aucun son ne venait perturber le silence de plomb qui pesait. Aucun son.

Je sursautai.

-Ecoute... me devança Elisabeth.

D'un mouvement de tête commun, nous levâmes la tête vers le plafond. La musique s'était arrêtée !

Et d'un second geste, nous tournâmes nos visages vers l'escalier qui montait à l'étage. Une soupente ! Mais quelles imbéciles ! Quelle bêtise monumentale !

Des pas.

Un, deux, et trois. Puis plus rien. Nous étions pétrifiées ! Le moindre bruit trahirait notre présence !

Soudain, un sifflement aigu résonna comme un coup de fouet dans toute la pièce ! 

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