Solution

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 Je n'avais pas dormi de la nuit. Non. Impossible.

Ces lettres m'avaient chamboulée. En quelques lignes, j'avais reçu une déferlante de coups, une pluie de gifles, une tempête de claques. Et pourtant... C'était de la gratitude que j'éprouvais, de la nostalgie et du regret. Le regret de ne pas avoir pu me montrer plus présente pour mon amie sur qui planait un terrible danger.

J'attendis donc toute la nuit, éveillée, refusant de succomber au sommeil. De temps à autre je soupirais. A ces instants un terrible poids s'affaissait sur ma poitrine. Et je me recroquevillais sur moi même, en refoulant mes larmes. Je ne voulais plus laisser ce plaisir au joker.

Enfin Elisabeth arriva dans ma chambre. Je lui jetai un regard interrogateur, et elle désigna sa montre en m'expliquant qu'il était temps de se lever. Puis en remarquant ma position, mes cernes noires et mes yeux rougis par les frottements, elle me proposa de venir la voir dans l'infirmerie après m'être habillée.

J'obéis docilement, mais rien ne pouvait faire dévier le fil de mes pensées. Cet autrefois long ruisseau tranquille était depuis plusieurs jours un obscur fleuve colérique. Aujourd'hui c'était une mer tempétueuse, dont le grondement de la houle résonnait dans la caverne sombre du littoral.

En relevant les volets, le soleil m'éblouit. Et la vue du lac, de cet immense pin qui s'élèvait dans le ciel, et de ce dernier pur comme une perle me fit sangloter. Plus jamais Rebecca ne pourrait voir ça. Plus jamais je ne pourrais la voir sourire en me parlant. Plus jamais elle ne sourirait tout simplement.

Je m'effondrai contre le mur, sans réaliser que la réponse au problème qui encombrait ma vie allait s'offrir à moi. Puis je me dirigeai vers l'infirmerie. A travers la fenêtre qui donnait sur cette pièce, je pouvais voir Elisabeth, le nez plongé dans des dossiers.

-Entre, s'exclama-t-elle en me souriant.

Une fois à l'intérieur je m'écroulai sur la chaise prévu à cet effet pour prendre mon traitement. Mon regard se posa sur le tableau en liège recouvert de photos.

Je saisis le verre que me tendait Elisabeth.

Sur les photos, souriaient des groupes de jeunes et d'adultes. Sur la plus grande, se trouvait une dizaine de soignants qui riaient, bonnets de noël ou couronne de gui sur la tête. Leurs blouses étaient parsemées de paillettes. Un gâteau en arrière plan, nappé d'un glaçage rose était posé sur une table. Leurs regards étaient vifs, lumineux. Le photographe n'avait probablement pas enlevé le flash.

Je lâchai alors subitement mon verre qui tomba au sol. Tandis que l'eau serpentait au sol, je me levai, ignorant la réprimande d'Elisabeth et m'avançai vers le tableau.

-Qui est-ce ? Chuchotai-je en désignant un homme au sourire crispé et au regard mal à l'aise.

-Augustin, répondit-elle calmement en ramassant mon verre.

Je crus perdre pied, comme si la loi de la pesanteur ne régissait plus. Aussi je m'agrippai à la table. Seul le tic-tac effréné de l'horloge blanche venait saupoudrer ma réflexion d'un son agaçant. J'avais froid. Transportée dans un autre univers, je faisais le lien entre rêve et réalité. J'arrachai la photo et me tournai vers Elisabeth.

-Je crois que je sais qui est le joker...murmurai-je.

***

-Cet homme aux yeux vairons, parle moi de lui, exigeai-je.

Nous étions toujours dans l'infirmerie, et dehors, patientaient les autres jeunes affamés par la nuit.

-Il s'appelle Augustin mais ne travaille plus ici depuis plusieurs jours. Il était infirmier.

Elisabeth était pâle et ne semblait pas réaliser ce que je venais de dire.

-Mais qu'est ce qui te fait dire qu'il a un quelconque lien avec le joker ? soupira-t-elle.

-Tout. Dans la lettre de ma mère est évoquée une infirmière aux yeux vairons, et Rebecca a écrit dans la sienne que le joker qu'elle a rencontré portait des lunettes alors qu'il faisait nuit ! Et maintenant que j'y réfléchis.... Les autres joueurs évoquaient les yeux de personnes qui ont quitté leurs vies ! Mais oui ! M'exclamai-je en me remémorant les paroles des autres joueurs. Emma parlait d'une infirmière au regard hypnotisant, Natacha du regard passionné de son mari et Arthur de celui sévère de son père !

« Et que rajouter si ce n'est que ces personnes ont disparu ? Le mari de Natacha, mort subitement. Le père d'Arthur, disparu mystérieusement. Une infirmière d'Emma, évaporée dans la nature.

"Et ne parlons pas des prénoms : Anaëlle l'infirmière d'Emma, Anatole le père d'Arthur, et Antonin le mari. Tous commencent par la lettre A. Ce n'est pas une coincidence !

Le silence qui suivit n'était que parsemé par les discussions des adolescents qui attendaient dehors, et toujours le tic-tac de l'horloge...Le temps passait et le joker était dehors ! Il était peut être à nos trousses, cherchant à nous tuer !

Mon regard se posa sur la photographie que je tenais d'une main tremblante. Le regard vairon du dénommé Augustin brillait d'une lueur folle. Je le pointai du doigt.

-Tu vas devoir me donner l'adresse de cet Augustin, réclamai-je après un court instant silencieux.

-Pas de problème.

-Et tu vas devoir m'y conduire. Car si ce n'est pas nous qui le dénichons en premier, ce sera lui. Et je ne pense pas que ce sera pour prendre le thé.

***

-Il ne reste plus que quatre nuits, déclara Élisabeth.

La nuit était tombée. Après ma crise d'angoisse de la précédente, on m'avait administré un traitement si fort que mes mains tremblaient. J'avais été placée en chambre d'isolement toute la journée et seule Élisabeth était venue me rendre visite. Elle était allée chercher dans les archives la dernière adresse en date d'Augustin.

-Il logeait dans un quartier mal famé, avait-elle déclaré. 12 rues des coquelicots. Je m'y rendrai cette nuit.

-Je viens avec toi, avais-je réclamé.

-Si j'arrive à trouver un moyen de te faire sortir en douce, d'accord, avait-elle soupiré.

Je l'avais remerciée puis j'avais avalé goulûment le repas disposé sur le plateau qu'elle m'avait amené.

Désormais j'étais sous mes couettes, en tenue de journée, prête à sauter à tous moments pour suivre Elisabeth aller chercher le joker chez lui. Si il y était toujours.

La question que je me posais était "Que se passerait il s'il n'y était plus ?". Ce qui était fort probable.

Mais je m'endormis avant d'avoir une réponse à cette questions, m'envolant pour le pays d'Alice. Un pays qui n'est merveilleux que par son nom. 

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