6/ Gabriel

77 14 9
                                    

-Tu te sens mieux? m'avait demandé l'infirmière scolaire.

 Je m'étais dégagée de ses serres en maugréant.

- Laissez moi. Je vous dis que je n'ai rien.

Mais mon regard anéanti et ma voix rauque révélait mon véritable état. Celui d'une fille dévastée, d'une fille submergée par le chagrin, le désespoir et la rage. Mes parents avaient accouru en apprenant que je m'étais évanouie en plein cours. Assis dans l'infirmerie, attendant le constat du médecin scolaire, ils se rongeaient les ongles en proie à une inquiétude compréhensible.

Pendant ce temps, je me prenais le bec avec cette fichue infirmière qui réclamait ma tension. Je n'étais pas blessée, mais mon cœur saignait. Il me faisait si mal que je ne pouvais pas m'empêcher de me mettre en boule sur mon lit pour atténuer la douleur.

-Tu as mal à la poitrine? questionnait-elle sans cesse. Tu te sens nauséeuse? Tu as des vertiges? Des hauts le cœur?

-LÂCHEZ MOI MERDE!

Après cette prise de tête, je l'avais violemment bousculée et m'étais enfuie en courant, sans même jeter un regard à mes parents qui se tordaient les doigts dans la salle d'attente. Personne n'avait réussi à me stopper.

Je courus jusqu'au banc de la piste cyclable. Ce vieux banc qui nous avait supportés, nous trois, nos problèmes, nos états d'âme, nos tourments.

Je m'assis à même le sol, le dos appuyé contre le siège. Un vieux chien errant passa devant moi en jappant. Il était maigre, chétif et pitoyable, mais sûrement en meilleur état que moi, et probablement plus heureux.

Je n'étais plus qu'une coquille vide sans rien à l'intérieur. J'étais bel et bien une Alice dans la cour de la reine rouge, la tête sur la guillotine. Sans chapelier ou chat fou au sourire dément pour lui venir en aide. Sans lapin blanc pour la prévenir qu'il est trop tard pour sauver son amie. Sans rien.

Il pleuvait à verse. Les gouttes coulaient sur moi comme pour me laver de mes fautes. J'aperçus alors une cicatrice sur mon coude. Une immense rage me submergea. Je commençai à la gratter pour faire disparaître cette marque blanchâtre. Puis j'accélérai le mouvement, l'accentuai, et finalement me lacérai les bras, les jambes et le visage en hurlant comme un démon, voulant juste me gommer de la surface de notre planète. Je ne voulais plus qu'une seule parcelle de mon âme ou de ma conscience reste dans ce monde.

A bout de force, le corps recouvert d'entailles, la peau rougie, je me levai. Mon corps me brûlait comme si j'étais sur un bûcher enflammé. Mais la douleur de mes griffures n'étaient rien comparées à celles qui poignardaient mon cœur.

Je marchai jusqu'à la ville. Je marchai sous la pluie telle une âme errante, un fantôme du passé. Les gens me regardaient avec effarement, mais personne ne s'arrêtait. La nature humaine était-elle donc comme voulait le montrer le joker ? Égoïste, fourbe et lâche ? Comme Moi ?

Arrivée au centre ville je m'immobilisai face à une façade initialement blanche, mais assombrie par la pluie. Des sculptures de faune longeait les fenêtres de style gothique. Certaines, abritaient de la pluie des fleurs rouges. J'avais décidé d'avancer la réalisation de mes projet. Mais j'avais besoin d'aide. Et je savais où la trouver. Alors je m'avançai vers l'immeuble, le contournai, grimpai à l'échelle de secours jusqu'au troisième étage et toquai trois fois à la fenêtre de droite.

Une silhouette à travers la vitre sursauta en me voyant. Elle s'avança et m'ouvrit.

-Mais qu'est ce que tu t'es fait? me demanda Gabriel.

Jeu de cartesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant