Dixième jour

87 15 8
                                    

-Tu es enfin là! maugréai-je.

Gabriel venait de sonner, et je lui ouvrai la porte, les sourcils froncés et une expression d'exaspération sur le visage.

-Désolé, fit-il en entrant. Il y avait des bouchons, et le bus est passé en retard.

-Tes parents ne se doutent de rien? demandai-je, ignorant son excuse bidon.

-Non, j'ai feins la maladie, m'expliqua-t-il. Et toi?

-Moi aussi. Et ils ne m'ont pas plus questionnée.

Alors nous nous assîmes autour d'un thé fumant. En remuant ma cuillère dans l'eau teintée de vert, je relatai à mon ami la course. La toile de métal, le fossé, le champ de bataille.

-Et au dernier moment, Juliette a trébuché, racontais-je. Je n'aurais jamais gagné sans cela. Je dois tout à cette chute. Je... J'ai honte, balbutiai-je

-Tu ne dois pas. Nous ne pouvons pas sortir tout le monde de ce trou à rat. Nous devons nous montrer égoïstes pour survivre.

-Comme Rebecca ? interrogeai-je en lui lançant un regard qui le défiait de répondre.

Il ne dit rien, mais, à la place, me retraça son parcours qui était exactement le même que le mien, au détail près que lui avait franchi le fossé en escaladant la falaise. Tandis que mes pensées se perdaient dans le tourbillon de feuilles que j'avais créé dans ma tasse, Gab se leva et tendit sa main vers mon visage. Je me surpris à hausser les sourcils.

-Heu... Qu'est ce que tu fais? lui questionnai-je.

-Tu as... des cicatrices, remarqua-t-il.

Je me dirigeai alors vers le miroir et en m'approchant, je remarquai alors trois entailles blanches qui parcouraient mon visage : une petite en haut de mon œil, une autre qui descendait le long de mon front, et une balafre assez importante sur le bas de ma joue. Je frappai du poing la vitre, la rage fulminant dans mon cœur. Ainsi, ce jeu maudit nous affecterait jusqu'à ce que l'on en sorte. Je remontai les manches de mon pull et pus ainsi constater que j'avais aussi des marques de mes blessures aux articulations de mes bras et de mes jambes. Peu visibles peut-être, mais visibles.

-J'en ai aussi, fit Gabriel en remontant sa manche.

Je me retournai en rougissant jusqu'aux racines de mes cheveux. Ses muscles saillants étaient recouverts de quelques cicatrices. Moi qui le prenait pour un gringalet, je fus si surprise que j'en perdis mes mots. Des frissons me traversèrent des pieds à la tête. Alors je détournai le regard afin d'éviter de me ridiculiser. Soudain un souvenir surgit dans mon esprit.

-Gab... Je crois que mes parents veulent m'envoyer vivre dans un foyer, annonçai-je.

-Comment ? s'interrogea-t-il.

Je relatai donc avec exactitude les paroles de mes parents la veille. Celles-ci subjuguèrent mon ami. Il réfléchit un instant. Mais ne trouva pas les paroles pour me consoler et se contenta d'un vague :

-Pourquoi ?

Je haussai les épaules en expliquant que je l'ignorais.

-Oublie ça, ce n'est pas important, mentis-je. J'arriverai bien à les en dissuader. Préparons-nous plutôt à aller rendre visite à nos deux joueurs.

-Tu m'as dit que la célèbre Natacha Rougloff participait aussi à ce jeu ? enchaîna Gabriel sans insister. Nous pourrions peut-être aller chercher des infos sur Internet, proposa-t-il.

-Il y avait aussi un jeune joueur d'échec assez connu. Un certain Victor.

-Nous chercherons sur le trajet, proposa-t-il. Allons-y. Si mes parents ne me voient pas à la maison ce soir, je suis bon pour la privation de sortie jusqu'à ma majorité, ricana-t-il.

Jeu de cartesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant