MISE À JOUR 0 - IA
En apnée
Elle étouffait.
Un sentiment d'inconfort grandissait dans sa poitrine, une gorge serrée ne pouvant se détendre. Et cette chape de plomb, si soyeuse, si lourde. Sans lumière. Obscurité totale. S'infiltrant entre ses lèvres, écorchant sa gorge, encombrant ses poumons.
Elle manquait d'air.
La sensation intense s'accentua encore, contractant son estomac, brouillant son esprit, déchiquetant chaque pensée, chaque désir, chaque souvenir. Tout s'effaçait, s'étiolant sous la douleur. La souffrance de ses alvéoles pulmonaires se recroquevillant, de son cerveau s'asséchant, de ses valves cardiaques se contractant sans cesse, tentant de compenser le manque d'oxygène qui tuait son corps à petit feux.
Un seul son dans le silence, dans le noir. Un battement. Profond, humide. Mais si faible. Trop faible.
Elle agonisait.
Et elle avait beau se débattre dans les liens qui lacéraient sa peau ; beau tenter de retenir son souffle dont la pression comprimait sa poitrine ; tout s'effaçait pour ne laisser plus qu'une seule idée, cristal d'ambre la détruisant de l'intérieur : «Surtout, Ia, n'oublie pas. »
Mais oublier quoi ?
L'énigme éclaircit soudainement son esprit. La pression sur son torse n'était plus si prononcée. La souffrance sembla s'éloigner de quelques pas. Toujours présente. Mais distante. Suffisamment pour qu'elle puisse rassembler ses idées.
Où était-elle ? Comment était-elle arrivé ici ?
Les questions s'accumulant, la réalité paraissait plus dissonante. Elle commençait à entendre les fausses notes. Le contact de l'eau était trop soyeux. Tant qu'elle ne pouvait émettre une opinion sur sa température. L'obscurité trop complète. Tant qu'elle pouvait se croire aveugle. La dureté des cordes trop accentuée, trop dénaturée de sa matière première.
Ce n'était qu'une triviale projection. Ce n'était qu'un test comme parmi d'autres. Un test simple.
Tandis que son esprit démêlait les ficelles de ces souvenirs en désordre, la réalité se réimposa à son corps.
Elle se noyait. Elle mourait. Elle ne voyait rien. Et elle ne savait quelle direction prendre.
« Le test est simple ». L'idée tournait en boucle dans sa tête, tel un mantra, mais l'angoisse finit par la submerger complètement. Elle allait se noyer. Dans une putain de projection.
Elle sut qu'elle pleurait par l'irritation soudaine de ses yeux grands ouverts, désespérés à trouver ne serait-ce qu'une lueur pour la guider. Elle pleurait. Elle ? Non jamais, impossible.
Elle devait se ressaisir. Ses souvenirs lui revenaient. Elle se soumettait à ce test pour un but précis. Un projet important. De quoi remodeler toute sa vie. De quoi vivre. De quoi être enfin heureuse.
Alors, les lèvres fermement scellées à la moindre tentation létale, elle abaissa ses poignets liés vers son ventre et glissa ses genoux entre ses bras. Puis, d'un mouvement de levier, elle écrasa ses mains, forçant ses bras à s'écarter. Elle sentit la souffrance bien réelle remonter le long de ses bras, exploser dans un recoin de son cerveau maltraité. Serrant les mâchoires, elle persista. La corde émit un craquement libérateur, étouffé par l'épaisseur de l'eau.
Cette réussite lui apporta un brin d'espoir. Son cœur se remit à battre un peu plus fort, pompant autant son sang et que dans ses dernières forces. Elle se pencha alors vers ses jambes emprisonnées aux chevilles. Elle sentit le liquide s'engouffrer dans ses narines, menaçant de la faire suffoquer.
Affolée, ses doigts s'attaquèrent au nœud des liens restants qui se détachèrent et s'échappèrent de ses mains.
Elle était libre !
Elle n'avait plus beaucoup de temps : son corps allait lâcher. Alors elle tendit les mains devant son visage et poussa sur ses jambes, balayant l'eau au-dessus d'elle de ses bras. Ses mouvements de brasses disgracieux, hagards et paniqués restaient néanmoins efficaces. L'obscurité se perça d'une légère lumière, filet d'huile au loin.
Ses muscles la brûlaient, ses poumons hurlaient, son cœur flanchait, son esprit s'éteignait l'espace de fractions de secondes. La tâche s'étendait, se détaillait, s'intensifiait.
Sa vision se brouilla, tangua dans une suite d'images hachées. Elle ne pouvait abandonner. Elle tenait sa chance juste sous la main.
« Ia, ne lâche jamais. »
Elle entendait à nouveau sa voix, susurrant les paroles qui la stimulèrent, lui permirent de reprendre temporairement le contrôle sur son corps, d'échapper à la projection. Forçant de toutes ses forces sur sa nage, fendant l'eau qui la retenait en quelques brasses de la vie, elle perça la surface.
Bip sonore dans le tympan. Douleur sourde à l'arrière du crâne.
Elle battit des paupières. Elle se trouvait dans la salle blanche d'examen, allongée sur le Simulateur. Un visage familier penché sur elle lui souriait tandis que des mains extrayaient le Connecteur de son plug cérébral.
Les souvenirs revinrent à flots, dans un chatouillement désagréable derrière l'oreille gauche. Une sorte de brûlure devenu habituelle depuis quelques mois. Son test avait dû durer des jours cette fois-ci car la doctoresse Keyllawn avait changé de blouse.
La bouche sèche, elle prit délicatement appuie sur les rebords du Simulateur. Son corps effectua un lent basculement de la position allongée à la position assise, ses bras engourdis le soutenant à grande peine.
Malgré ses précautions, elle fut prise d'un léger vertige qui contracta son estomac. Une sensation réelle. Elle passa une main sur son ventre ce qui affola la doctoresse. Cette dernière lui tendit une bouteille au liquide vert peu avenant.
—J'ai remarqué que malgré tes scores convenables dans de potentielles carences, tu éprouvais toujours des vertiges suite aux projections, expliqua-t-elle de sa voix lente, douce, enrobant son timbre sucré. Tu trouveras là-dedans tout ce qu'il te faut pour remettre d'appoint la connexion de tes synapses. Elles ont sûrement tendance à cesser de transmettre l'information électrique à cause des influx des produits synthétiques du Simulateur dans ton organisme.
Elle acquiesça bien que son langage lui restait hermétique. Saisissant la bouteille, elle l'ouvrit et porta le goulot à ses lèvres. Le liquide frais cascadant dans sa gorge lui rappela amèrement sa noyade virtuelle.
—Bon, tu as réussi tous les tests, reprit la doctoresse en feuilletant son dossier transparent. Alors voici ton emploi du temps pour les sept prochains jours : tu le recevras sur ton e-brain, ajouta-t-elle en balayant l'information du doigt sur son écran. Et il ne manque plus que ta signature sur le contrat.
Keyllawn lui tendit sa plaque translucide avec un grand sourire et un stylo tactile, qu'elle saisit et signa sans hésitation, le cœur battant à tout rompre de joie. Elle allait pouvoir commencer son projet. Réaliser le premier pas vers une vie nouvelle.
—Iria-Alessys, tu es la bienvenue à l'émission de jeu vidéo et de télé réalité Unreal ! s'exclama la doctoresse. J'espère que le thème Replay te plaira pour fêter ses cents ans !
«Ia, n'oublie jamais que tout cela n'est pas réel. »
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Replay
Science Fiction3666. Entre projections et une humanité surpeuplée, Iria-Alessys, ou plutôt Ia, n'a qu'une seule possibilité pour échapper à sa destinée de miséreuse : participer à Replay, l'édition spéciale des cents ans d'Unreal, une émission mêlant jeu vidéo et...