"L'Enfer est droit devant"

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MISE À JOUR 6.1 - MIKE

Le Commencement


— Chaque participant est prié de rejoindre leur Simulateur attribué. Le numéro sur leur flanc doit correspondre à celui de votre gilet.

La voix de l'intelligence artificielle du programme s'insinuait dans sa tête, jouait avec ses pensées. Son e-brain ne pouvait lutter contre cette invasion d'ondes parasites. Mike se sentait défaillir, son esprit se modelant sur les instructions de l'intelligence artificielle.

Il marchait d'un pas certain, identique aux vingt-neuf autres qui s'avançait eux aussi vers leur Simulateur.

Son regard, seul commande qu'il contrôlait encore, se porta sur Callum à ses côtés. Le visage impassible, il gardait les yeux fixés au loin. Mike revoyait sans cesse ce moment, où lui et Ia s'étaient tant rapprochés que leur connexion en était devenu électrique. Il n'avait pas trop su clairement ce qu'il avait ressenti alors qu'ils se trouvaient sur la brèche. Peut-être une forme de jalousie. Pour Ia qui s'emparait de son ami de toujours. Ou bien...Une sorte de rancœur... Pour celui-ci même. Une petite voix dans sa tête, susurrant la même vérité en boucle.

« Il gagnera toujours. Tu n'es rien comparé à lui. »

Il inspira profondément, papillonnant des paupières afin de se ressaisir. Ressasser ces mots ne servaient qu'à renforcer l'emprise de l'amertume. Il devait laisser aller. Oublier. Pardonner.

Il balaya à nouveau la ligne des participants s'avançant toujours plus. Il sentait l'œil des caméras sur sa nuque, sur son visage, sur son corps. Engloutissant la moindre parcelle pixelisée de son être. Il n'avait pas réellement réfléchi à cette sensation de violation.

Pour lui, qui avait toujours été harcelé par les photographes et les drones, il considérait cette partie de Replay comme anecdotique. Mais ici, il se rendait brusquement compte d'une différence monumentale : là-bas, à l'extérieure, il possédait le contrôle sur tous ses yeux fureteurs. Il pouvait leur faire voir ce qu'il souhaitait et cacher l'essentiel. Sur ce terrain de jeu, Mike avait toujours été l'un des meilleurs.

Jusqu'ici, en tout cas, il le pensait. Or, à présent, coincé dans son propre corps par des ondes pirates, il comprenait ô combien il s'était trompé. Il ne contrôlait rien dans ce lieu. Il était à la merci des voyeurs. Vulnérable.

Chaque faille allait être exploitée, le pousser dans ses retranchements, le faire plier à la projection jusqu'à qu'il rompt. Contrairement aux gladiateurs de la Rome Antique, le public des années 3660 ne se contentait plus seulement de sang, de membres déchirés et de crânes éclatés. Non, à présent ils raffolaient de la torture psychologique. Voir en action le mental d'un participant s'étioler jusqu'à ne plus être qu'un bout de fil rongé par le feu, le sang et les larmes.

Se mordant la joue de toutes ses forces, il se força à lâcher prise sur les pensées noires qui polluaient son psychisme. S'il s'attardait trop sur ces détails, il risquait de partir avec un désavantage majeure. Il ne fallait pas qu'il se fasse submerger, n'est-ce pas ?

Un regard insistant lui brûlait la nuque. Du coin de l'œil, il distingua la silhouette de Ia, légèrement en retrait, ces petites jambes peinant à rattraper la distance laissée par les autres.

Ses iris transmettaient une lueur de confusion à travers laquelle il sentit son appel de détresse se répercuter en écho le long de sa colonne vertébrale.

Elle avait le même. Le même regard qu'Anna. La même intensité. Le même désespoir qui saignait son cœur depuis la naissance.

Il revit ses lèvres pâles. Sentit à nouveau son haleine chaude, mentholée par le dentifrice standard des épiceries poussiéreuses de la Basse. Son parfum de citron provenait de son gel douche, tout ce qui avait de plus basique, mais le rendait pourtant fou. La réaction chimique qui se produisait lorsque le produit entrait en contact avec sa peau rendait cette odeur si particulière. Embaumant l'air, entêtant les narines.

« Rappelle-moi, Mike, ce que j'ai raté dans mon éducation. »

Le ton rigide de Mikaelus Senior s'imposa à lui, évanouissant la vision d'elle prenant place dans son esprit. Les souvenirs désagréable de la veille refaisaient surface.

« Je t'avais dit quoi à propos d'elle ? Tu dois te taire sur ce qui s'est passé. Si les autres savent, s'en ait fini de nous. »

Son poing frappant son bureau. Ses traits tendus se dévoilant à sa vue.

« Sais-tu combien d'entre eux rêvent de nous faire tomber ? Si nous leur offrons l'étincelle, ils s'empresseront de faire craquer l'allumette ! »

Sa langue passant furtivement sur ses lèvres. Déglutissant.

« Je n'ai rien dit, Grand-Paternel, je vous le jure. »

Un rire.

« Alors explique-moi d'où Titus tire cette information ? »

Tension montant dans son thorax.

« Je n'en sais rien ! »

Une profonde inspiration. Une respiration irrégulière s'apaisant.

« Bien. Si c'est ainsi, tu vas devoir mettre les bouchées doubles pour atteindre ton but. »

Pouls s'accélérant.

« Comment ? »

Un silence.

« J'ai quelques profils de participants à te montrer...»

Il reprit pied avec la réalité alors qu'il se trouvait auprès de son Simulateur. Son assistant en chef lui souriait d'un air encourageant. Cela ne le rassura pas, bien au contraire.

Il lutta de toutes ses forces pour reprendre le contrôle sur son e-brain. Tournant violemment la tête, il croisa le regard d'une jeune femme.

Peau blanchâtre, chevelure blanche comme la neige tournoyant telle une flamme d'argent dans son dos. Et ses iris d'un rouge flamboyant. Albinos.

Sous son sweat-shirt, émergeait une chemisette à col Claudine et un pendentif en forme de croix en bois dont les planches étaient clouées en diagonales.

Notant son regard intrigué, elle lui adressa un sourire en coin, ses lèvres peintes de rouges se tordant.

Mike revoyait son visage sur la plaque de verre tactile que lui avait glissé son Grand-Paternel. Ce dernier avait entouré son nom à multiples reprises.

« Sonia Everely »

L'assistant le tira de sa torpeur en le forçant à s'allonger sur le Simulateur. Le métal froid vibra contre ses paumes.

« Tu dois la surveiller. Elle peut être le diable en personne. »

Les liens translucides se refermèrent sur ses poignets, ses chevilles et sa taille.

La panique le submergea. Il tenta de se débattre mais le tissu devait être confectionné avec de la soie d'araignées modifiées.

L'assistant posa une main apaisante sur sa poitrine.

— Tout va bien se passer. Comptez avec moi.

Des mains s'affairaient derrière lui, réglant les derniers détails dus à sa physionomie et à son psychisme. Puis saisissant sa nuque pour guider le Connecteur dans son plug cérébral. La rosace s'ouvrit, laissant le tuyau relier son esprit au programme.

— Un.

Un froid s'empara de ses membres. Courut sous sa peau jusqu'à atteindre son cœur. Sa poitrine se gela. Ses paupières alourdies cédèrent.

— Deux.

Il fut plongé dans le noir. Les sons s'assourdissaient. Son souffle se fit plus lent. Son pouls ralentit...

Il lâcha prise.

« Trois. »

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