MISE À JOUR 1.2 - IA
Le Rassemblement
La salle de rassemblement fila des frissons à Ia.
Elle était si grande, si large, si épurée. Si propre. Débordante de richesses. Si elle ne revenait pas tout juste d'un test, elle se serait crue dans une projection tant la sensation d'irréalité lui collait à la peau.
Circulaire, elle se renfonçait légèrement au centre d'où descendait une lumière naturelle qui paraissait elle-même plus propre, plus fraîche que celle dont elle avait pris l'habitude de côtoyer. La foule des participants était rameutée à l'intérieur, échangeant des poignées de mains, des sourires mielleux.
Ils avaient l'air gentils. Ils étaient d'autant plus redoutables.
En descendant la volée de marches, une main griffue et puissante écrasa entre ses doigts l'organe palpitant qu'était son cœur. Panique affreuse qui l'empêchait de respirer correctement, qui lui donnait la nausée. Elle se jetait dans la fosse aux lions. Dans l'arène remplie de gladiateurs expérimentés. Elle était mineure, les autres majeurs. Et pourtant, malgré son apparence chétive, seulement trois ans la séparait des plus jeunes.
Très vite, elle perdit courage et vira de bord pour harponner une chaise solitaire sur les avant-dernières marches. Frottant ses mains les uns contres les autres, elle sentit un regard insistant posé sur elle. Levant discrètement la tête, elle vit, à l'opposé de la salle, deux hommes, l'un à moitié allongé sur un canapé et l'autre assis à l'envers sur sa chaise. Celui qui ne pouvait le quitter des yeux était assurément le plus beau. Chevelure au vent brillante et à la couleur gourmande, yeux verts pénétrant au plus profond de son être, il se dévissait la tête afin de la voir, ses lèvres pulpeuses tordues dans un sourire timide qui ne lui semblait pas habituel.
L'autre l'observait de temps à autre, comme pour essayer de distinguer ce que son ami trouvait de si intéressant chez elle. Il était grand, élancé et blond. D'aussi loin, il ne lui parut pas fantastique. Un poil hautain, une expression méprisante qui déformait son visage convenable dans l'une des pires grimaces qu'Ia avait vu le long de sa courte vie. Pire que le rictus de fatigue couvert de poussière de son père. Pire que celui de sa mère quand son cœur malmené lâcha en plein milieu du repas.
Aussitôt elle le détesta. Réveillant des souvenirs enfouis sans l'usage de la moindre parole, il ne pouvait qu'être mauvais. Elle se promit de l'éviter. De l'ignorer. Et s'il le fallait, de le tuer. Dans la projection évidemment.
Ia était bonne joueuse depuis toute petite. Mais ses parents l'avaient freiné tant de fois, lui rappelant qu'au final, sa vie finirait par être traînée dans la poussière, la souffrance. Avec la faim au ventre, avec la mort toujours omniprésente à ses côtés, telle une vieille amie sinistre et jalouse. Comment pouvait-elle envisager un avenir dans ce cadre-ci ? Comment pouvait-elle, l'espace d'un instant, se résigner alors que les Grands vivaient dans des tours de cristal ?
Ses parents lui disaient que ce n'étaient que des contes qu'ils lui racontaient le soir pour l'endormir. Que tous ces mythes et légendes qui avaient pris naissance dans son cerveau, qui s'étaient épanouis derrière ses rétines et ses tympans ; que tout cela n'étaient que virtuels. Que ce n'était pas la réalité.
Les Grands selon eux ne vivaient pas dans des tours de cristal. Ni ne possédaient des richesses astronomiques. Ils avaient juste de quoi vivre paisiblement dans un cadre plus plaisant.
Mais comment pouvaient-ils en être certains ? Ils n'étaient jamais sorti de leur quartier boueux, terne, crevassé, surchauffé, empli d'une atmosphère de misère qui prenait à la gorge. L'air même était empoisonné. Tout était réuni là-bas pour traîner leurs vies vers une décadence douloureuse, abrégeant des milliers de possibilités d'avenir de seconde en seconde. C'était plus un lieu de mort, qu'un lieu de vie. Un cimetière rempli d'agonisants obligés de travailler pour tenter de rallonger un peu plus leur douleur.
Et de cet univers sombre qui s'étendait de toutes parts, qui se répétait sans plus finir sur toute la surface de la Terre, Ia ne pouvait plus le voir. Elle était tout simplement écœurée de voir ses parents rentrer chaque soir, plus épuisé qu'hier encore, une maigre somme dans leurs mains crasseuses et ensanglantées, insuffisante pour payer les denrées qui coûtaient si chers à présent. D'anciennes statistiques avaient déclaré que la population humaine qui grouillait sur les surfaces habitables de la Terre s'élevait à vingt milliards et que les portions de terre pouvant produire de la nourriture tous genres confondus avaient diminué de trente-sept pour cent. Les scores devaient être d'autant plus catastrophiques à présent.
Les seuls bons souvenirs qu'elle possédait, c'étaient les rares instants qu'elle avait pu passer dans le serveur du quartier, connectée par le biais du Simulateur central.
Petite, elle avait d'abord gambadé dans une atmosphère médiévale et campagnarde. Ce monde féerique la maintenait loin d'un sentiment grandissant de malaise. Elle pouvait s'évader autre part. Ces forêts, ces plaines, ce vent léger, si bon, s'enroulant autour de son visage émerveillé. Les bruits des animaux qui galopaient entre les arbres, des insectes fourmillant dans les fourrés et des oiseaux se perchant dans les branches. Et le soleil. Le soleil, jaune, rond, brillant. Transmettant une lumière chaude, qui pénétrait sa chair.
Puis en grandissant, elle s'était intéressée aux grandes guerres qui avait secoué la planète. Elle avait frissonné, pleuré, crié, senti la mort s'infiltrer dans ses pores. Ce déluge de sensations intenses et cet adrénaline se déversant à flot la faisaient sentir vivante. Bien plus vivante que lorsqu'elle se retrouvait piégée dans la réalité. Une réalité terne et morbide de sa maison croulante, de sa famille plus proche de la mort que de la vie.
L'unique chose qu'elle pouvait réaliser dans ce cadre-ci sans avoir l'impression de tomber dans un gouffre, c'était s'installer sur son lit et connecter son e-brain sur l'émission Unreal.
C'était récemment qu'elle avait eu l'idée d'y participer. Le centième anniversaire d'Unreal se promettait phénoménal. Et si l'édition spéciale Replay avait dévoilé très peu de chose de son contenu, Ia avait eu une intuition. Replay serait un chemin secret, un virage dissimulé parla résignation et la fatalité. Replay serait son moyen de court-circuiter sa destinée.
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Replay
Science Fiction3666. Entre projections et une humanité surpeuplée, Iria-Alessys, ou plutôt Ia, n'a qu'une seule possibilité pour échapper à sa destinée de miséreuse : participer à Replay, l'édition spéciale des cents ans d'Unreal, une émission mêlant jeu vidéo et...