MISE À JOUR 2.4 - ZAYA
Réel ou irréel ?
Une longue sonorité stridente. S'éternisant. Vrillant dans sa poitrine, déchiquetant ses poumons.
Était-il... ?
Un silence inattendu, suivit d'un brusque bip profond. Un battement de cœur.
La foreuse cessa aussitôt son travail. Elle put avaler une goulée d'air.
Callum souleva délicatement les paupières. Son corps immobile, figé dans de la glace, avait broyé les entrailles de Zaya. Le voir ainsi démuni avait été terrible. Il dissimulait sa nervosité et sa peur derrière son armure si lourde alors que son esprit se retrouvait tout simplement déconnecté de son corps. Jusqu'où sa carapace s'étendait ? Pourrait-elle garder l'espoir naïf de pouvoir un jour réellement l'atteindre ?
Pourtant, elle ne pensait pas que l'entraînement serait une véritable épreuve. Seulement un amuse-bouche où elle aurait pu étaler ses talents. Épater la galerie.
Dans sa bouche, un goût amer stagnait, imbibant ses papilles d'une nausée impalpable. Son inquiétude grimpait, seconde après seconde. Ensuite, cela serait son tour. Elle serait la dernière à passer de leur petit groupe. Le groupe Alpha.
Unreal avait décidé de séparer les trente participants en trois groupes de dix. Alpha, Gamma, Psi. Chacun possédant ses spécialités et ses lacunes. Entraînés ensemble, ils étaient supposés se serrer les coudes durant l'émission. Ou du moins durant un temps. Mais quelque soit leur blabla, Zaya avait vu clair dans leur jeu. Ils avaient juste rassemblés les participants par niveau et le groupe Alpha était sans hésitation celui des gagnants.
Méritait-elle cette assignation ? Ou serait-elle chassée dans un cercle inférieur après l'entraînement ? Les Gamma étaient encore envisageables mais le dernier, les Psi, était à éviter comme la peste. Il évident qu'ils seraient les premiers à tomber.
Callum se redressa, une main frottant activement sa poitrine. Zaya en avait les larmes aux yeux. Elle l'avait bien évidemment sur l'écran. Lui, bondissant tel un idiot afin d'intervenir, de secourir cette pauvre femme. Mais qui n'était qu'une simulation. Elle en tremblait. Mais elle fourrait ses poings serrés dans les poches de son pantalon, cachant cette marque de faiblesse.
Elle savait ce qui avait traversé l'esprit de Callum dans la projection en voyant ce spectacle. Elle savait quels souvenirs lui étaient revenus. Ironique n'était-ce pas, que cela soit ceux-là qui lui permirent de s'échapper de la projection à temps ? De filer entre les doigts de la Mort ?
Car si Callum avait été trop ancré à la Simulation, s'il n'avait pas eu un pied dans la réalité, son esprit se serait cru mort. Son cœur aurait continué de battre quelques secondes puis, sans assistance, il se serait éteint. Une coquille vide ne pouvait subsister.
Il semblait légèrement étourdi mais il descendit du Simulateur en ignorant l'aide de la doctoresse. Son regard était vrillé dans un autre, ancré dans les profondeurs d'une autre âme. Zaya suivit le faisceau invisible qui reliait les deux êtres et vit, derrière de plus hautes silhouettes, la morveuse.
Une tumeur immatérielle, pulsant une jalousie malsaine, grossit dans sa poitrine. Comment son frère pouvait-il être plus intéressé par une Crasseuse comme elle ? Pourquoi ne cherchait-il pas plutôt son regard ou celui de Mike, son acolyte de toujours ? Pourquoi aux échappatoires des abattoirs virtuels, il ne se précipitait pas vers elle, sa sœur jumelle, son ombre, afin de l'enserrer contre son torse ? Afin de s'assurer que tout cela est réel ?
Elle était furieuse à présent. Son esprit bouillonnant de questions acides et d'inquiétude inavouée se livrait à un combat acharné entre raison et instinct. Détournant son regard de son frère, elle le fixa sur la silhouette frêle de la morveuse. Elle ressentait dans ses doigts une envie brusque de violence. Une envie de revanche. L'impulsion se muait dans les plus sombres recoins de ses pensées en un meurtre violent. Mais jamais sa conscience n'aurait accepté un tel état de fait.
La gosse leva un regard timide vers elle qu'elle détourna aussitôt, comme brûlée. Une vague de rouge s'emparait de son teint translucide. On aurait dit un fantôme.
Qu'elle était maigre, petite et pâle ! Ses mains étaient presque osseuses, son visage présentait des joues creusées par la faim et ses yeux étaient entourés de grands cernes d'un violet visqueux. Elle était laide, repoussante et encore trop juvénile pour être séduisante ! Qu'est-ce que Callum pouvait-il bien lui trouver ?
L'instructeur toutefois l'extirpa de ses sombres pensées d'un geste.
D'un pas confiant, elle s'avança vers le Simulateur sur lequel elle s'allongea d'elle-même. Un bref sourire ironique creusa des fossettes inattendues sur la figure de roc de la brute. Ses doigts tapèrent furieusement sur le panneau de bord. Elle sentait le piège se refermer sur elle mais elle se refusa d'être aussi faible que cette Crasseuse. Elle ne laissa non plus rien paraître lorsque Kaligula se glissa derrière elle, soulevant sa masse de cheveux afin de glisser le Connecteur dans son plug cérébral. Le contact de ses doigts contre sa peau la perturba bien plus que le choc électrique parcourant sa colonne vertébrale lors de l'enclenchement. Des souvenirs remontaient à la surface, tels les corps gonflés d'eau des noyés refaisant apparition des années après.
Alors que les images lui revenaient, se rejouant sur ses rétines, elle sentit son corps s'alourdir et son esprit rendre les armes. Plongeant dans un sommeil factice, elle glissa dans la projection.
Éclair de lumière hasardeux dans l'obscurité. Un deuxième. Un troisième. Et un autre encore. Sans fin.
La musique vibrait contre le sol, remontait en spasmes le long de ses jambes nues. La chair tout autour d'elle transpirait, se mouvant. Ses tympans criaient grâce, assommés par le volume titanesque des décibels.
Elle était dans une boîte de nuit. Immobile sur la scène, elle ne savait quoi faire. Son personnage restait étonnamment muet.
Sa tête lui paraissait trop lourde, sa bouche pâteuse et sa démarche incertaine. Sa vision valsa, emportant le monde autour d'elle d'en bas à en haut et lui donnant le mal de mer, alors qu'elle tentait de s'échapper de la cohue compressée sur la piste.
Bousculant les corps, elle luttait. Son esprit même s'embourbait dans le mélange flasque qu'étaient devenues ses pensées.
Elle était complètement dévastée par l'alcool. Sans même avoir profité. Quelle injustice !
Elle parvint toutefois à atteindre le bar. Se glissant sur un tabouret, elle commanda à boire. Autant en profiter de l'absence de Callum pour tester ces fameux Joy Shots !
— Salut princesse, fit une voix chaude contre son oreille.
Zaya sursauta, laissant glisser son verre des mains. Il se fracassa à terre. L'homme qui venait de lui parler était collé contre elle.
Elle allait répliquer mais il la réduisit au silence. Il l'enserra plus fortement et sa main glissa sous son décolleté. Zaya sentit son souffle s'accélérer, la peur lui lacérant le ventre.
Simulation et mémoire se superposaient dans un kaléidoscope aveuglant.
Elle voulut hurler mais son sauveur était de l'autre côté du voile. Dans la réalité.
Or... Ceci n'était pas réel.
La projection se déforma soudain, lui dévoilant les failles et les possibilités.
Dans l'irréel, tout était possible. On pouvait tuer, tant que l'autre se savait encore en vie de l'autre côté. Que cet homme soit une simulation ou un joueur, elle n'éprouverait pas de remords.
Alors, elle saisit un verre traînant sur le bar, le brisa et d'un mouvement ample de l'épaule, l'enfonça dans la carotide de l'inconnu. Le sang gicla à gros bouillons, maculant son visage. Elle passa distraitement sa langue sur ses lèvres, récoltant le goût métallique sur ses papilles, tandis que les yeux de l'homme se révulsaient et que son corps s'effondrait.
Elle l'observa alors froidement agoniser sur le sol.
« Rien n'est réel. Tout est possible. »
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Replay
Science Fiction3666. Entre projections et une humanité surpeuplée, Iria-Alessys, ou plutôt Ia, n'a qu'une seule possibilité pour échapper à sa destinée de miséreuse : participer à Replay, l'édition spéciale des cents ans d'Unreal, une émission mêlant jeu vidéo et...