MISE À JOUR 6.4 - ZAYA
Le Commencement
Rien n'aurait pu être plus sarcastique que de voir son jumeau ouvrir cette satanée porte. Lui et sa petite face de victime tourmentée et blasée par la vie.
Zaya savait parfaitement que cet état de colère constant, aussi acide que de l'alcool à brûler sur une plaie béante, n'était pas naturel. Artificiel à vrai dire. Il s'agissait du programme. Elle en était certaine. Elle se connaissait trop bien pour distinguer des vraies les fausses émotions implantées dans son cerveau. Certaines, sous l'effet de nombreuses réactions chimiques et de messages nerveux, provenaient de cet organe visqueux, siège du souffle de l'intelligence. Et d'autres étaient stimulées par le e-brain.
Actuellement, sa rage factice était si puissante qu'elle serait capable d'arracher ses menottes jusqu'à en briser ses poignets si elle se laissait aller. Rien que pour se jeter sur son frère et lui mettre une raclée. Bien heureusement, elle était consciente de l'irréalité de la situation, ce qui lui permettait de seulement lui adresser un long sourire sardonique.
Il devait s'estimer heureux, le petit chevalier fuyant sur son destrier blanc. Elle ne l'attaquerait pas de sitôt.
Pour l'instant.
— Quoi ? grinça-t-elle en évitant son regard.
Ses yeux verts lui semblaient si accusateurs. C'était cette lueur qui semblait dire : « Évidemment. Qui d'autre peut se retrouver dans cette situation dès le début, à part ma chère petite sœur impulsive sans cervelle ? ». Peut-être qu'elle amplifiait un peu. Mais il restait certain que Callum avait eu cette pensée en l'apercevant accrochée à la table, telle un méchant chien punis dans sa niche.
— Tu n'as jamais vu de menottes ? reprit-elle en crachant son poison, les yeux fixés sur ses mains.
Il soupira. Du coin de l'œil, elle le vit s'avancer vers elle. Saisir une chaise. La retourner habilement. Puis s'asseoir à l'envers, les avant-bras croisés sur le haut du dossier.
Son tic. Il ne pouvait s'asseoir normalement sur une chaise depuis que Mère... Elle déglutit, chassant ce souvenir envahissant. Penser à elle était tout sauf une bonne idée. Quelque chose dans son crâne lui chuchotait que si elle n'avait aperçu aucune caméra jusqu'ici, c'était bien pour une raison.
« Nous sommes nos propres bourreaux » avait dit le beau roux, le soir de l'interview.
Sans trop savoir pourquoi, elle avait retenu cette phrase. Elle avait résonné en elle avec un écho de vérité. Maintenant, elle savait pourquoi. C'était trop gros. Trop évident.
Ils étaient les caméras.
Ainsi, rien ne pouvait leur échapper. Ni la moindre de leur action, ni la moindre de leurs pensées.
Contrôler sa langue était quelque chose qu'elle trouvait déjà difficile à ses yeux. Mais contrôler son esprit ? C'était un tout nouveau niveau.
Les connards ! Les ingénieurs, les metteurs en scène, les codeurs. Mikaelus Senior... Ils ne mentaient pas lorsqu'ils affirmaient que cette édition serait plus intense que n'importe quelle autre. Déjà cette histoire de retour dans le passé. Il ne fallait pas qu'elle oublie cette option, d'ailleurs. Cela lui pourrait être utile en cas d'erreurs. Et ensuite, ceci ? Être sa propre caméra ?
— Zaya, tu m'écoutes ?
Le timbre de son frère l'éveilla de sa torpeur. Relevant un regard halluciné vers lui, elle tenta désespérément de faire passer un message. Par e-brain ? Trop dangereux. Il suffisait que dans cette épreuve, l'un des Participants soit un hacker et ils perdaient un avantage. Par vive voix ? Autant se mettre une balle dans le crâne, cela irait plus vite.
Zaya n'était pas très douée pour garder des secrets. Sûrement à cause de toutes ses conneries sur son impulsivité. Mais cela lui avait donné l'une des meilleures leçons : les informations, quelques qu'elles soient, sont de l'or. Ou une munition de plus dans le chargeur de son ennemi.
— Zaya, comment es-tu arrivée ici ? Où t'es-tu réveillée ?
Il ne saisissait pas. Bon sang ! Quel empoté !
Grimaçant, elle se décida à lui donner ce qu'il souhaitait. Peut-être, qu'ensuite, il serait plus d'humeur à entendre ce qu'elle avait dire. Ou plutôt à comprendre ce qu'elle essayait de lui dire.
— Je suis entrée dans la projection à toute vitesse. Je n'ai même pas eu le temps de passer dans l'Entre-Deux.
Callum fronça des sourcils.
— Tu veux dire... Que tu n'as pas eu le droit à l'espace de chargement ?
— Oui. Pas de néant pour moi. J'ai fermé les yeux sur le Simulateur puis je me suis retrouvée en train de courir.
Il pencha la tête sur le côté, pensif.
— En train de courir ?
— Sur une route, compléta Zaya avec agacement.
Elle ne comprenait pas pourquoi il tenait compte à ces détails.
— J'étais en train de suivre une direction précise. Je crois que je poursuivais quelqu'un. Ou plutôt quelque chose.
— Tu n'es pas sûre ? Tu ne l'as pas arrêté ?
Elle plissa sa bouche dans un rictus amer.
— Non. Je n'ai pas eu le temps de comprendre ce que je faisais réellement qu'on m'a tiré dessus. Ton pote, là. Caïn.
Il toussa puis bâilla. À présent qu'elle reprenait le dessus sur la colère qui l'animait, elle remarquait enfin les longs cernes englobant le bas de ses yeux. Comme si les os de son crâne pointaient sous la fine couche de sa peau, soulignant le rebord de ses orbites.
Il était exténué. Pire qu'un mort-vivant. Maintenant, elle pouvait imaginer la Crasseuse et son frère en couple. Un couple pitoyable dont elle aurait honte mais qui lui donnerait enfin une bonne excuse pour couper les ponts avec lui.
— Je n'ai de pas de « potes ». Et certainement pas un appelé Caïn.
Elle eut un rire étouffée.
— Tu ne me crois pas ? Regarde-moi ça, plutôt.
Elle esquissa un mouvement qui lui tira une grimace. Callum examina l'intérieur de son bras droit qu'elle mettait en exergue. Lorsqu'il aperçut la tâche rouille qui s'étendait sur l'uniforme sombre, ses iris s'assombrirent.
— Je vais étriper ce Caïn, dit-il avec une rage si incongrue à sa personnalité que la stupeur se peignit sur les traits de Zaya.
Tentant de reprendre contenance, elle étira ses lèvres dans un sourire ironique.
— Je ne pense pas que ce sont les genres d'activités que font les gens d'ici entre potes. Bien que cela soit l'Apocalypse...
— L'Apocalypse ? la coupa-t-il avec une certaine panique sur son visage. D'où as-tu entendu ceci ?
Étonnement et prudence se mêlèrent dans son cerveau, stimulée à la fois par son e-brain et par son propre cerveau. Pour une fois qu'ils étaient enfin d'accord !
— Je ne sais plus trop... Il me semble que c'est Caïn... Ou le gars à la réception?
Callum ne la relança pas, plongé dans sa réflexion.
— Cal ?
Silence radio.
— Cal, qu'est-ce qui se passe ?
Après un instant d'immobilité, il leva les yeux vers elle. Pour la première fois, elle aperçut de la peur dans ses iris.
— Je crois enfin avoir compris quand et où nous nous trouvons.
Une profonde inspiration. Une lente expiration. Trois longues fois.
Puis il soupira.
— Ça ne va pas être une partie de plaisir, crois-moi.
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Replay
Science Fiction3666. Entre projections et une humanité surpeuplée, Iria-Alessys, ou plutôt Ia, n'a qu'une seule possibilité pour échapper à sa destinée de miséreuse : participer à Replay, l'édition spéciale des cents ans d'Unreal, une émission mêlant jeu vidéo et...