"Perles de pureté que sont les larmes"

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MISE À JOUR 2.3 - CALLUM

Réel ou irréel ?


Callum ne pouvait détacher ses yeux de la jeune fille allongée, une appréhension grandissante dans sa poitrine.

Elle paraissait si fragile ainsi, son teint translucide nimbé d'une lumière trop crue pour ses traits doux. Il suivait des yeux la courbe de ses joues plongeant jusqu'à ses yeux clos. Il détaillait de sa vision high-tech le moindre de ces cils noirs qui glissaient sur ses paupières agitées. Le battement affolé d'une veine à sa tempe était dévoilée par une mèche aux reflets bleutés, calée contre son oreille gracieuse. Ses lèvres pâles se crispaient, se tordaient, se serraient entre elles de toutes leurs forces, seul véritable indication du cauchemar qu'elle devait subir à présent.

Il ne pouvait même pas jeter un œil à l'écran. C'était trop dur. Comme si l'on pressait son cœur pour en extraire le jus.

La lèvre tremblante, la respiration alourdie, sa main lâcha vivement celle de Zaya. Il ne pouvait pas. Il était incapable de garder son masque de frère protecteur alors qu'elle subissait l'une des pires tortures. Elle et sa beauté fantomatique. Et qu'ensuite, Callum le savait, serait son tour.

Serrant les mâchoires, il évita le regard perplexe de sa sœur et examina l'expression de la doctoresse, se tenant dans un coin de la pièce. Un sourire étrange défigurait son visage et les jeux de lumières sur sa peau parfaite lui donnait de quoi grincer des dents. Qui était cette fille, à la stature si minuscule que l'on aurait dit un moineau crevant de faim et de fatigue dans la neige ? Qui était-elle pour pouvoir se faire une place dans l'émission Unreal ? Cette même émission mondiale qui subissait tant de demandes que le réalisateur avait dû récemment instauré un tir au sort afin de clarifier le magma des désespérés qui se pressaient à leurs portes ?

Elle ne pouvait qu'être spéciale ou unique. Elle ne pouvait qu'être extraordinaire.

Était-ce pour cela que Kellyawn l'observait de cette manière ? Comme si elle était un animal de foire novateur ? Un objet rare qu'elle se devait à entreposer dans une cage dorée ?

Il ressentit une vague de dégoût, un élan qui le poussait à s'interposer, à la protéger. À tout prix.

Il se ressaisit difficilement, un goût métallique se répandant dans sa bouche. Il s'était mordu la langue. Peut-être pour éviter de crier. Il l'ignorait.

Soudain un petit cri perçant l'air. Un hoquet strident, une respiration apportant soulagement et angoisse. Callum reporta aussitôt son regard sur elle. Il dût se retenir. Pour ne courir vers elle. Pour ne pas prendre son visage doux entre ses mains.

Perdait-il la tête ?

Elle avait les yeux ouverts. Ses yeux, dieu, ses yeux. Il n'avait jamais remarqué à quel point ses iris, à la couleur de la cendre encore tiède, étaient ensorcelants. Miroitant un monde infiniment vaste prenant place derrière ses rétines dans un crâne si restreint, une larme glissa sur sa joue. Puis deux. Puis trois. Puis une dizaine s'écroula sur le métal du Simulateur.

Son souffle profond devint plus brusque, secouant sa cage thoracique dans une rythmie irrégulière.

Elle pleurait.

Ce fut horrible. Assister ce spectacle lui donna envie de vomir.

La doctoresse se précipita vers elle et se chargea de la rassurer, sa main se baladant tendrement sur sa joue humide, tandis quel'instructeur obtus s'affairer à la libérer complètement de l'emprise du Simulateur. Une fois débranchée, Kellyawn l'aida à se relever, ses lèvres arrondies dans une onomatopée réconfortante.

Elle gardait sa tête baissée, ses cheveux bouclés glissant de ses épaules et dissimulant son visage. Elle tremblait. De la tête aux pieds.

Callum tenta de déglutir mais sa gorge était trop sèche. Se mordillant la lèvre inférieure, il porta une main près de ses lèvres, prêt à dégainer les dents afin de se ronger les ongles si la tension dans son organisme atteignait son comble. Il comprenait ce que voulait dire Mike à présent. Aussi douée qu'elle pouvait l'être, elle ne restait qu'une enfant.

La jeune fille, debout, se réfugia dans les bras de la doctoresse. Celle-ci lui frotta délicatement le dos, souffla quelques mots à son oreille.

— Bon c'est fini le cinéma là, s'exclama Kaligula d'un ton sec.

Puis il ajouta en posant les yeux sur Callum.

— Toi, le bourreau des cœurs, viens sur le Simulateur.

Il ne montra aucune hésitation et s'avança. Pourtant, ses pensées ne pouvaient se détacher d'elle et de sa détresse qui résonnait doucement dans son dos.

L'instructeur l'allongea sur le Simulateur, fit quelques réglages puis se plaça derrière sa tête. Callum s'efforçait de garder son regard fixé sur le plafond et le néon qui diffusait cette lumière brûlante. Il devait se vider l'esprit. Sinon l'expérience en serait d'autant plus ardue.

Il sentit un déclic lorsque le Connecteur prit place puis un choc remonta jusqu'à son cervelet. La souffrance enflamma son cerveau.

Il ferma les yeux, se détendit. Et tout s'effaça autour de lui.


— À terre ! À terre tous !

Callum sentit le métal froid d'un canon se poser sur sa tempe. Une voix à sa droite, hors de son champ de vision, cracha d'une voix glaciale:

— Ça vaut aussi pour toi, le p'tit junkie ! Viens pas nous chercher ou tu le regretteras !

Le souffle court, il plia lentement les genoux et s'allongea au sol, mains derrière la tête. L'haleine du cambrioleur remonta dans ses narines alors qu'il lui susurrait à l'oreille, goguenard :

— On fait plus le malin, hein ?

Il retint sa remarque cinglante qui se pressait sur ses lèvres. Satisfait de l'avoir maté, le bandit s'éloigna s'occuper d'autres réfractaires.

Il se força à se concentrer. Il était dans une banque. Il s'appelait Yannick, aimait se décolorer les cheveux chaque mois et agrandir sa collection de piercing sur son corps. Il souhaitait faire son premier prêt pour se payer une maison. Sa petite famille allait bientôt s'agrandir dans quelques jours. Et quelqu'un allait probablement mourir dans ce hold-up si personne n'intervenait.

Écoutant son instinct, il leva prudemment la tête. Ils étaient quatre, jouant de leur flingues afin d'imposer leur règne de terreur, tandis que l'un d'eux se chargeait de vider les caisses.

Ce n'étaient que des amateurs, dont la confiance dépassait largement le stade du raisonnable. Il pouvait facilement les avoir.

Mais alors, l'un des trois saisit brusquement une fille par les cheveux et la traîna sur trois bons mètres.

— Tu as l'air parfaite ma belle pour un petit moment d'intimité, toi ! s'exclama-t-il d'une voix rauque dégoulinante de sous-entendus alors que celle-ci gémissait, pleurait, suppliait de l'épargner.

Il frissonna de dégoût, sa mémoire factice se brisant soudain pour laisser place à de véritables souvenirs. Des souvenirs torves qu'il n'aurait pas dû avoir. D'images qu'ils n'auraient pas dû voir.

Zaya. Personne ne pouvait la toucher. Personne ne pourrait plus jamais lui faire du mal.

Sans réfléchir, perdant tout repère, Callum bondit, projetant l'homme contre le mur de toutes ses forces. Il entendit un coup de feu et une douleur atroce déchira sa poitrine.

Doucement, ses muscles se relâchèrent un par un. Et il s'effondra.

Mort.

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