"Réveil"

18 1 0
                                    

MISE À JOUR 6.2 - IA

Le Commencement


Sa bouche inspira l'air, engloutissant les particules gazeuses d'un geste convulsif. Telle une noyée surgissant de l'eau.

Elle était éveillée.

Elle sentait son corps. Endiguant la forme virtuelle qu'était son esprit dans le programme. Elle sentait l'oxygène approvisionner ses organes, activant la circulation du sang.

Elle était réelle.

Hoquetant, elle glissa au sol. L'impact vibra contre son épaule, la souffrance s'insinuant dans son système nerveux. Ouvrant de grands yeux hagards, son regard fou se posa sur chaque détail pouvant la renseigner. Où et quand ? Voilà les principales questions qui tournaient en boucle dans sa tête.

Elle venait de tomber d'un canapé vert défoncé, à la hausse jaunie s'étiolant de part en part. Le sol en béton armé meurtrissait ses articulations et une verrière en cuivre piqueté de rouille émeraude s'étendait au-dessus d'elle, filtrant une lumière pâle,soutenue par des ampoules à l'allure clinique.

Grimaçant, elle se redressa sur les coudes et contempla les lieux.

Il s'agissait d'un repère.

Dans un coin, un semblant de cuisine s'entassait sur des meubles. Tous tagués d'un même symbole. Se répétant à l'infini, rouge, se perdant entre eux, confondant les traits. Tandis que, de l'autre, un espace salon cernait une table basse couverte de boissons vides en tous genres et de cartons de repas. Espace dans lequel elle se trouvait, écrasant des coudes les canettes vides et quelques substances pré-mâchées non identifiées.

Elle dut retenir un haut-le-cœur.

« Rien n'est réel, Ia. Rien n'est réel. »

Elle se le répéta, tentant de dompter le flux réaliste qui s'engouffrait à flot dans sa tête. Elle devait être allongée sur son Simulateur, les yeux clos. Depuis moins d'une seconde. Le temps s'écoulait moins vite en dehors des projections. Une minute ici étaient en réalité une fraction de seconde si infime qu'elle n'était pas perceptible à l'œil humain.

Mais contrairement aux humains, les caméras, elles, ne rataient rien. La moindre faille. La moindre faiblesse. Tout était dans la boîte.

Elle devait se reprendre. Inspirant profondément, elle se leva et jeta un coup d'œil autour d'elle. Personne. Bien. Elle allait obtenir le temps qui lui fallait pour réaliser chaque étape.

Après la vue, l'ouïe. Elle se concentra, discernant chaque note du crissement de métal que chantait la canette sous son pied. Elle fut estomaquée d'observer autant de détails et de tonalités différentes. Si sa raison ne lui soufflait pas que tout ceci n'était qu'une projection, elle se serait crue dans la réalité.

Se pinçant la lèvre inférieure, elle testa le toucher. La douceur de ses lèvres se pliant sous le contact de ses dents la fit tressauter d'étonnement.Elle passa activement ses mains sur ses bras nus. Elle pouvait sentir chaque pore de sa peau. Rien n'était lisse ou surfait ou trop brillant. Chaque paramètre était maîtrisé à la perfection. Au point de filer la chaire de poule. Où se situait la limite dans tout ceci ? Cette fameuse limite vénérée par les joueurs et qui leur donnait tant de fils à retordre en retour. La limite du réel et de l'irréel ?

Crissement métallique. Respiration heurtée et pas précipité.

Ia leva brusquement la tête, s'extirpa de sa réflexion et de sa contemplation.

— Bon sang, je te cherchais partout !

Elle fronça des sourcils et examina de la tête aux pieds le nouveau venu. Grand et musclé, la mâchoire carré et une cicatrice courant de son arcade sourcilière jusqu'à l'arrière de son oreille droite, il avait le crâne rasé et des yeux sombres. Toutefois, sous ses allures de gros dur, ses traits fins et délicats révélaient une personnalité plus nuancée que le bagarreur aux problèmes de gestion de colère.

Passant une langue hâtive sur ses lèvres, Ia chercha à toute vitesse dans sa mémoire quelques informations utiles. De un, pour comprendre où elle se trouvait. De deux, pour savoir quoi répondre à cet inconnu. Mais malgré tous ses efforts, sa tête resta vide.

Elle persista, titillant chaque parcelle de son e-brain. Attendant un quelconque résultat, elle tenta un sourire qui s'effaça bien vite sous le froncement de sourcils de son interlocuteur.

Bien, bien. Son personnage ne semblait pas être une amatrice de sourires.

Elle sentit soudain une barrière heurter sa connexion mentale avec son e-brain. Quelque chose de l'autre côté du voile l'empêchait d'atteindre sa mémoire.

Cela commençait bien. Que cela soit une erreur, un obstacle du programme ou un sabotage, elle allait devoir improviser.

— Bonjour... fit-elle prudemment, son regard vissé dans celui de l'inconnu.

Au cas où la connexion se fasse miraculeusement et lui fournisse au moins son nom. Autant rêver bien sûr.

L'homme soupira en roulant des yeux ostensiblement. Apparemment, son attitude l'agaçait.

Il posa son avant-bras sur son front, la tête relâchée en arrière. Il restait immobile longtemps dans cette position ridiculement théâtrale. Suffisamment pour permettre au regard d'Ia de capturer l'image d'un tatouage courant sous sa peau : en formes de volutes depuis le creux de son poignet pour finir avec en pointe sur le milieu de l'avant-bras, le symbole de tout à l'heure. Celui sur les meubles de fortune de la cuisine.

Une plume en creux et en plein se tordant, avec deux os en croix en arrière-plan.

— Tu as oublié mon nom c'est ça ? Je vais être gentil avec toi la bleue, moi c'est Aysha. Et tu devrais ramener vite fait bien fait tes fesses dans le wagon suivant si tu veux être intégrée comme il se doit à la Communauté.

Ia ouvrit et referma sa bouche, sans proférer le moindre soin. Puis elle baissa la tête et courba l'échine. Elle venait enfin de comprendre une ou deux choses. Par exemple, se faire la plus petite possible étant donné sa position dans la hiérarchie de cette soi-disant Communauté.

Mais aussi qu'elle se trouvait dans un train. Sans aucune secousse. Soit il s'agissait d'un bug du programme, soit d'un indice pour mettre une date à cette époque.

Aysha lui agrippa le bras et la fit entrer de force dans le wagon désigné, à l'arrière des canapés.

L'atmosphère dans cette pièce était lourde, enfumée par les essences en bâtonnets brûlant sur un petit autel circulaire au centre. Ia discernait à peine les visages des silhouettes accroupies autour du marbre rosée.

Un marmonnement indistinct emplissait le silence d'une note angoissante. Il semblait jaillir de toutes les bouches. En harmonie.

Puis, soudain, un long silence.

— Aysha... Mais qu'as-tu donc fait ?

Un homme encapuchonné venait de se lever, éclairant son visage tiré par la vieillesse à la lueur des bougies et des bâtonnets enflammés. Une inquiétude dévorait ses traits.

— Bah, je l'ai ramené comme vous me l'avez demandé.

Un soupir léger et élégant. Puis il se tourna vers Ia et s'adressa directement à elle d'un ton des plus aimables, s'inclinant à demi.

 — Excusez donc mon neveu, il est encore novice. Il n'a encore jamais vu votre véritable visage, ma Majesté.

ReplayOù les histoires vivent. Découvrez maintenant