"À travers le voile"

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MISE À JOUR 2.2 - IA

Réel ou irréel ?


Changer sa destinée, voilà ce que recherchait par dessus tout Ia. Mais se donner en spectacle devant les autres gosses des Grands à peine majeurs qui l'examinaient bien trop à son goût, ça c'était un tout autre défi.

Ce fut sa première pensée lorsque la brute l'appela au Simulateur. Le petit-fils du réalisateur d'Unreal s'était planté en succès, ce qu'avait particulièrement apprécié l'instructeur. Que pouvait-elle faire, elle, la pauvre petite miséreuse de quinze ans seulement ?

Toutefois elle prit son courage à deux mains et s'avança vers Kaligula et la doctoresse. Dans son sillage, elle crut percevoir un murmure craché rien que pour sa personne : « Vas-y la mioche, montre nous tes lumières. » Le sourire cynique du grand blond prétentieux accrocha son regard. Ses joues s'enflammèrent aussitôt mais son expression fermée et déterminée ne se dépeigna pas de son minois.

Elle allait réussir et ce n'était pas un gars qui se roulait dans l'argent pour dormir qui allait l'en empêcher.

L'instructeur l'installa durement sur le Simulateur puis s'activa vers le panneau de commande. Ia était particulièrement nerveuse, au point qu'elle ne pouvait arrêter de gigoter. Elle évita tant bien que mal le regard mauvais de Mikaelus. Or, le sien croisa alors celui du jeune homme sublime de tout à l'heure. Elle se rappelait maintenant : cet apollon était l'ami du connard fini. Elle en éprouvait même un pincement au cœur. Il devait ressembler au grand blond par certains aspects pour le côtoyer et ce n'étaient sûrement pas des bons.

Mais elle devait cesser d'imaginer de tels scénarios ! Elle n'était ici que pour une chose : réussir. Le reste n'était que poussière et futilités.

Elle sentit soudainement les mains de l'instructeur insérer le Connecteur dans son plug cérébral. Un long frisson parcourut son échine et son cœur se mit à battre plus fort sous l'afflux d'adrénaline.

Elle allait réussir. Il n'y avait aucune raison pour qu'elle ne le fasse pas.

Kaligula enclencha le Connecteur. Une décharge secoua sa moelle épinière, vibrant en écho dans son corps tremblant. Ses paupières glissèrent, plongeant son monde dans l'obscurité la plus complète.


— Kate, passe-moi cette paire de ciseaux avant que tu ne coupes la tête à cette pauvre dame.

Ia sursauta, lâchant l'instrument tranchant au passage. Il scintilla dans l'air puis cliqueta sur le sol. La fille en face d'elle l'observa un long moment, un désespoir profond suintant à travers tous les pores de son visage.

— Bon, je suppose qu'il se trouve mieux ici qu'en travers de la gorge de ta cliente, ironisa-t-elle en déplaçant une mèche rouge derrière son oreille.

Elle se baissa, son pantalon trop bas glissant et révélant un tatouage qui s'échappait d'une culotte ridiculement courte. Comment cela s'appelait déjà ? Un string, oui, elle s'en rappelait maintenant. La mémoire de son personnage était suffisamment fournie pour lui permettre de composer avec ce nouveau monde étrangement coloré.

Elle était dans un salon de coiffure des années 1970, « Le Petit Bavard ». Un lieu de travail plutôt atypique mais étrangement en harmonie avec son uniforme. Le motif ressemblait à du dégoulis d'artiste en pleine crise existentielle : pas du tout son type.

Mais cela ferait l'affaire, tout comme sa coiffure brune entrecoupées de mèches roses qui lui faisait ressembler à un caniche s'étant roulé dans du chewing-gum pré-mâché. Les miroirs étaient à éviter dans ce genre de cas. Ironiquement, un salon de coiffure ne pouvait qu'être placardé de glaces sur chaque mètres carrés de murs.

Sa collègue se redressa, les ciseaux en main, la figure légèrement rosée par cet effort. Elle le lui tendit avec un sourire incertaine et Ia s'en empara prudemment. Elle résista à l'envie pressante de l'observer de plus près, n'ayant jamais vu d'objet si brillant.

La réalité était si détaillée, si omnisciente dans son cerveau, qu'il suffisait d'un faux pas pour être submergée. Actuellement, elle le gérait tout juste, acceptant des petites doses d'informations régulières et dégourdissant son esprit comateux étape par étape. Après l'ouïe et la vue, elle se concentra sur la sensation froide et lisse que le contact de la lame des ciseaux lui procurait.

— Kate, ça va ? Tu es vraiment pâle.

Elle acquiesça vivement puis lui confia les ciseaux.

— Oui, ça va mais je crois qu'il faudrait mieux que je m'assois.

Son corps commençait à flancher. Elle avait horriblement faim, pire que toutes les fois où elle avait dû subir le jeûne. Et cette image lancinante d'un hamburger bien gras et chaud, dégoulinant de fromage fondu, ne faisait que la narguer, empirant son état. Les hamburgers, quel drôle de plat. Mais elle crevait d'envie malgré tout d'y goûter.

— Tu devrais pas aller au boulot comme ça, je te l'ai déjà dit, s'acharna sa collègue en lui offrant un gobelet de café. Pense au petit, voyons ! Tu ne dois pas te surmener !

Le... Petit ? Elle eut un déclic. Elle était enceinte. De deux mois. Elle observait la courbe de son ventre chaque jour dans son miroir à pied, attendant qu'il se gonfle. Et elle avait un mari. Un homme sublime et riche qui prenait soin d'elle. Elle travaillait surtout pour le plaisir et par peur de l'ennui.

L'afflux d'informations effraya Ia. Elle ? Enceinte ? Mais elle n'avait que quinze ans ! Si?

Son esprit commençait à vaciller. Était-elle réellement Ia ? Ou bien Kate ?

Elle passa une main lasse sur son visage, son cœur tourmenté battant la chamade dans sa poitrine. Tout était si déconcertant, si réel ! Au point que la mémoire de Kate prenait le dessus sur les souvenirs hagards et mutilés d'Ia. Elle devenait Kate. Ou l'était-elle depuis toujours ?

— Kate, tu es vraiment sûre que ça va ?

Elle porta ses yeux sur le visage de sa collègue. Quelque chose clochait chez elle. Des mèches rouges, des pantalons taille basses et des strings ? Dans les années soixante-dix ? Puis son attention fut attirée par le badge qui annonçait en lettres multicolores : « Stella ». Définitivement pas le prénom d'une femme de trente ans en 1970.

Elle était la faille. La faille du programme. Pas assez performant pour jouer sur l'hyper-réalisme sur tous les tableaux, le programme comblait les mailles manquantes avec ce qu'il pouvait.

Son esprit commença alors à s'éclaircir. Tandis que Kate s'éloignait, Ia se concentra sur le moindre détail. Elle finit par distinguer des incohérences dans le scénario. À l'exception de Stella et elle, le salon était vide. Or, sa collègue craignait pour la vie d'une de ses clientes.

Le codage se craquela sous ses yeux, révélant des erreurs d'amateurs dissimulés sous le miel gluant du réalisme. L'œil droit de Stella était trop brillant et ses mains trop plates, sans volume. Mais le pire était les miroirs. Leurs reflets n'étaient pas inversés.

Tout ceci n'était pas réel. Et ne le serait jamais. Kate et Stella n'existaient pas.

Ia n'était pas enceinte.

La projection vola en éclats.

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