Chapitre 14

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Gadie

La porte de PVC grinça sur le sol. Je fronçais les sourcils. Quand est-ce que ce fichu concierge allait-il enfin penser à remettre une bande de caoutchouc sous cette foutue porte des enfers ?! Je fis quelques pas sur le carrelage fissuré. La vieille ampoule grésilla faiblement au plafond. Ah ouais... C'est vrai qu'il était mort... Pauvre homme. Enfin non, j'étais peut-être un peu trop expéditive. Mort, mort... N'exagérons rien ! Il était seulement réduit à l'état de légume sous oxygène dans un lit d'hôpital. Rien du tout en somme ! Seulement les ravages terribles de la drogue... Mais positivons, après tout la science fait des progrès tous les jours ! Pour les gens bourrés de frics et sans l'ombre d'un problème à l'horizon certes, mais des progrès quand même ! Non parce que attends, cela aurait été vraiment trop bête de vivre sans un super robot aspirateur chauffe pizza ! Etre contraint de passer le balai et risquer de se choper une crampe de bras, non mais quelle cruauté ! Dans quel monde vivons-nous mes amis si même le sol ne se lave plus tout seul ! Enfin, toujours est-il que pendant que monsieur toxico prend du bon temps dans sa cuve de presque-mort, mes oreilles souffrent le martyr à chaque fois que je rentre chez moi. Et cela c'était d'une cruauté sans nom !

Les murs de l'immeuble, anciennement crépis de blanc, étaient à présent recouverts de tags de toutes sortes. Certains très flashis, mais également d'autres beaucoup plus sombres. De la lumière aux ténèbres. Chacun avait tenté d'exprimer quelque chose de spécial sur son bout de mur. Un état d'esprit, un sentiment, une vision bien particulière des choses... Ou juste un ignoble gribouillis immonde, pour les moins poétiques. Il faut de tout pour faire un monde après tout.

Certains vous diront que ces vastes taches de couleurs ne sont qu'une honte. Que dis-je une honte, une horreur sans nom oui, prouvant l'irrespect total et la déchéance d'une jeunesse perdue et vouée à l'échec le plus terrible. Mais moi je ne vous dirais pas cela. Non. Je trouvais cela très beau au contraire. Il y avait quelque chose de magnifique dans ces peintures. Quelque chose de spécial. Car non, ce n'étaient pas de simples taches de couleurs. C'était une touche d'espoir. Un éclat de lumière dans ces quartiers si gris et tristes. Un cri du cœur qui rappelait au monde qu'ici aussi, malgré tout ce que les médias pouvaient en dire, il y avait encore de la vie. Quelques créatures. Des centaines de jeunes bourrés de talents et de convictions qui n'attendaient qu'une main tendue, une bouffée d'oxygène. Alors oui, ce n'était peut-être qu'un peu de couleur sur un mur blanc, mais c'était les couleurs de l'espoir.

- Ben alors Gadie ? Qu'est-s'tu fous habillée comma ça ? Déjà marre du sexe faible ?

Je relevai les yeux. Trois gus en survêtement étaient avachis sous la cage d'escalier, téléphone en main et clope au bec. Un moustachu aux gros sourcils s'esclaffa d'un rire bruyant qui raisonna contre les murs. Bon, je retire ce que j'ai dit, certains sont vraiment des cas désespérés. J'offrais un verre au premier qui trouvera l'ombre d'un neurone utile dans le crâne immensément vide de cette loque humaine.

- Ouah... Mais c'est que t'es un petit rigolo toi ! m'exclamai-je. T'en as d'autres des comme ça ou je peux me tirer, et vainement espérer ne plus jamais recroiser ta sale face de macho stupide et poilu, complétement dénué de toute forme, même la plus minime, d'intelligence ?!

Les autres crétins se mirent à pousser des cris. Ou des beuglements difformes, j'hésite. Du genre « Popopooo comment elle t'a fracassé ! Tu vas jamais te relever ! Popoo !.. »... Oui, mon immeuble était habité par des poules. Bruyantes, stupides... Des poules quoi. Gavées au haschisch.

Mon nouveau pote la volaille s'était immédiatement redressé pour répliquer mais je ne lui en laissai pas le temps et disparu dans les escaliers, tout en lui adressant un signe des plus aimable bien évidemment. Si je commençais à taper la causette à tous mes charmants compagnons d'immeuble, je serais encore là dans un siècle ou deux.

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