Chapitre 21

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Mélina

            Des brioches. Des foutues brioches fourrées à la viande. Et sucrées par-dessus le marché ! C'est tout ce qu'il avait été capable de me ramener. Dire que j'avais demandé des nems, croquants et savoureux... Voilà que je me retrouvais avec des pirojkis froids pour seul petit déjeuner. Tu parles d'une réussite. Pas même une tasse de thé, ou du chocolat. Rien ! Qu'il ose seulement pointer le bout de son nez de père indigne et menteur ce rascal, que je lui fourre ses foutus pains russes dans la figure !

            Assise sur le tabouret du bar, le visage appuyé sur mes coudes, je foudroyais du regard l'emballage cartonné et trompeur qui se trouvait devant moi. L'odeur de farce refroidie me montait au nez, soulevant mon estomac. J'avais horreur du sucré-salé. Et pire que tout, j'avais horreur que l'on ose me refiler des lots de consolations. Menteur. Je détournai le regard. Dehors, le soleil était déjà haut dans le ciel, illuminant de ses rayons étouffants une multitude de volatiles stupides qui s'agitaient sur les toits. Des pigeons, tous éclopés. Super, magnifique spectacle.

Je m'étais réveillée tard, très tard. Il faut dire que je ne m'étais pas couchée tellement tôt la veille. Ou plutôt ce matin, si je veux être exacte. Le bus répugnant dans lequel j'avais accepté de me tenir quelques minutes m'avait déposée au pied de mon immeuble vers les coups de une heure, puis j'avais passé les deux suivantes dans les bras de mon père, allongée dans le canapé, à parler de tout, de rien. Les heures avaient filé à toute allure. Je m'étais sentie bien. Sa main caressant mes cheveux, sa voix berçant mes oreilles... Jusqu'à ce que je me réveille, allongée dans mon lit, éblouie par les rayons du soleil qui traversaient la baie vitrée pour venir sournoisement se glisser sous mes paupières. Foutu beau temps.

            J'avais immédiatement sauté de mon lit, espérant qu'il était encore assez tôt pour que je puisse réveiller mon élégant paternel à coup de cris insupportables et de seaux d'eau gelée, mais mon excitation était bien vite retombée. Sa chambre était vide. En fait, l'appartement tout entier était vide. Un arrière-goût de déjà vu était alors remonté dans ma bouche. Ce silence écrasant, cette solitude étouffante. Je n'avais pour seule compagnie qu'une boite de pâtisseries froides et un post-it. Rose. En forme d'ananas. Je déteste les ananas.

            L'écriture longiligne et aérienne de mon père s'étalait sur le papier, elle était reconnaissable entre mille. Même aveugle sourde et muette je n'aurais pu me tromper. C'était tellement... tellement lui. Quelques mots griffonnés à la va vite, une œuvre d'art improvisée et c'était tout. Il était parti. Un contrat, une affaire, selon ses mots. Un truc « urgent et de toute première importance ». Étouffant un grognement peiné, j'avais chiffonné le morceau de papier puis m'étais affalées sur le bar, balançant la pitoyable boulette rose à l'autre bout de la pièce. Mes yeux s'étaient fermés et un long soupir s'était échappé de ma gorge. Je ne savais même pas pourquoi cela m'avait surprise ? Il en avait toujours été ainsi. Toujours. Il avait ses affaires, sa compagnie, et un peu plus loin, sa fille. Il y avait les Da Sicci, et il y avait moi. Entre les deux, il n'y avait pas photo, je n'étais clairement pas la favorite. Ravalant un second soupir, je tendis la main pour saisir une brioche. Le pain était collant, sec. Je l'examinai avec dégoût. Piroshki... Au moins il ne m'avait pas ramené une de ces affreuses poupées attrape touristes, c'était déjà cela de gagné. Youpi.

            J'allais engouffrer le pain misérable et odorant que je tenais entre mes doigts quand un bruit de clé se fit entendre dans le vestibule. Je me redressai aussitôt. Mon cœur s'était mis à battre plus fort dans ma poitrine. La serrure se débloqua et le grincement si particulier de la porte raisonna étrangement dans l'appartement vide. Les sens aux aguets, j'avais reposé le pain devant moi. Papa ? Serait-il déjà revenu ? Avant la nuit ? Avant que je ne sombre dans la folie et le désespoir ? Non. Je n'arrivais pas à y croire.

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