Chapitre 28

355 23 8
                                        

Gadie

            Un tourbillon de flots noirs se déversait dans mon esprit. Une tempête obscure. Des vagues de misère sombres et glacées. Alignant un pied devant l'autre, j'avançais dans l'obscurité. J'avançais sans savoir où. J'avançais. Vers les limbes torturées de mon existence. J'avançais. Le raisonnement lugubre de mon pas retentissant sourdement dans le couloir. Seule preuve que je n'étais pas encore morte. Un bruit, à la fois si lointain et si proche. Je ne l'entendais pas. Je ne l'écoutais pas. J'étais ailleurs. Nulle part. Je voulais partir. Je voulais mourir. Je ne savais plus. Je ne savais rien. J'avançais. Mes pas me guidaient. Mon corps se mouvait. Et je les suivais. Sans avoir la force de résister. Sans tenter seulement de m'en défaire. Je voulais hurler, mais ma voix m'avait quittée. Je voulais m'écrouler sur le sol. Là, maintenant. Mais mes jambes refusaient de m'obéir. Elles avançaient. Dans ce couloir vide et sombre. Dans cet univers fade et sans saveur. Dans ce monde écœurant et étouffant. Ce monde où je me croyais mourir. Elles avançaient. Encore et toujours, emportant avec elles les lambeaux déchus de mon âme.

L'infirmière était entrée dans la pièce. Sa blouse bleue maladroitement nouée autour de sa taille étroite, ses joues creusées et son air gauche. Elle m'avait fixée de ses grands yeux sombres, titillant sa lèvre avec frénésie. Je l'avais considérée à mon tour. Cette fille trop grande, trop maigre. Cette abominable créature à la peau sombre venue troubler l'insolent silence de mon désespoir. Je devais partir. Il était tard. Les visites étaient terminées.

Terminées. Partir. Ces simples mots avaient eu sur moi l'effet d'un coup de poing. Pas de ceux qui décuplent vos furies. Pas de ceux qui libèrent en vous des effluves d'adrénaline et de colère trop longtemps contenues. Non. C'était de ceux qui vous mettent K.O. dès le premier round. De ceux qui vous abattent d'un geste, vous vidant immédiatement de toute forme d'énergie. Oui. C'était un de ces coups-là, douloureux, puissants. Définitifs. Le coup de grâce.

Je n'avais pas le droit de demeurer auprès de lui. Non. Je ne pouvais rester là, debout devant son corps inerte, à remuer mes pleurs et mes angoisses. Cela m'était interdit. Je devais partir. Et je ne m'étais même pas battue pour rester. Pour veiller sur lui, sur son visage figé et son sourire glacé. Non. Je m'étais levée. Sans un mot. Sans un bruit, ni même un regard. Je m'étais levée, les jambes lourdes, la gorge sèche et le regard vide. Je l'avais quitté, Abandonné à mon tour, dans son lit d'hôpital, avec ses tubes et ses machines. Je l'avais laissé seul. Comme il m'avait laissée. J'étais partie. Comme il était parti. Vers un avenir défait. Un futur brisé. J'étais partie.

Ma main se posa sur le métal froid de la poignée. Je relevai la tête. Le bois brut et sale de la porte me faisait face. Ma porte. Ma maison. Chez moi. J'étais chez moi. Comment étais-je arrivée ici ? Quelle heure était-il ? Je n'en savais rien. Et je m'en fichais pas mal. Ma tête était ailleurs. Noyée dans l'océan terrible de mes souvenirs. J'ouvris la porte.

Il faisait sombre. Comme toujours. Seule la lumière jaune et lugubre de la cuisine éclairait la pièce, enveloppant l'espace de cette atmosphère moite et oppressante dont elle avait coutume. Je fis quelques pas, faisant lourdement craquer les lattes vieillies du parquet. La porte se referma derrière moi, dans un claquement sourd. J'étais seule. Comme toujours.

Je ne bougeai pas. Debout au milieu du salon, les bras ballants et la tête baissée. Ma capuche devant les yeux, le souffle calme. J'étais là. Je ne bougeai pas.

Un léger bruit attira mon attention. Comme un pleur, une plainte. Un faible sanglot qui vint bercer le creux de mon oreille. J'émergeai. Je me défis de ce lourd manteau de tristesse pour relever la tête, cherchant du regard l'origine de ces gémissements misérables.

ApparencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant