Chapitre 5

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Mélina

 Les avenues de pierres et de béton défilaient devant mes yeux. Adossée à la fenêtre crasseuse du bus, mon regard s'était perdu dans la grisaille ambiante et morne de la ville. Je repensais à ce type. Ce garçon un peu bizarre, un poil agaçant mais avec un joli petit sourire et de sublimes yeux bleus. Je soupirai. En même temps, je n'avais grand-chose d'autre auquel penser. Penser à mon père me déprimerait et juste évoquer la première syllabe de l'espèce d'imbécile décérébré qui me servait de copain me donnerais envie de défoncer cette vitre de plastique.

Et merde. Voilà que je me remettais à penser à lui... Qu'avais-je fait pour mériter cela ? Je passai une main sur mon visage. Mais qu'est-ce que je faisais bon sang ? De quoi est ce que je me plaignais ? Hein ?! C'est pourtant moi qui avais cherché cela. C'est moi qui l'avais voulu...

Notre rencontre remontait à deux ans, au lycée, durant mon année de terminale. Je venais de déménager et je ne connaissais personne. Mon lycée était surpeuplé de fils et filles à papa, biens peignés et bien coiffés. Pas un pas de travers. Rien qui dépassait. Bref, ennuyant à mourir. Mais c'était mon monde, mon univers. J'y étais habituée. Il était là lui aussi, grand, beau, musclé. Une tâche dans cet univers trop lisse. Aillant raté son bac, il était devenu l'intrus, le rebelle, le type cool et populaire du bahut. Le genre de mec qu'il fallait avoir dans la poche pour ne pas se retrouver à l'écart. Le genre de gars qu'il me fallait pour ne pas rester indéfiniment seule. Le genre de mec qu'il me fallait pour ne pas exploser. Et c'est ce que j'ai fait. Je l'ai fait mien. Il m'a fait sienne. C'était donnant donnant. Je ne m'étais pas doutée un seul instant de ce qui se profilait. Non. Pas le moins du monde. J'avais l'habitude de toujours tout contrôler autour de moi. Les gens, les choses, les émotions. Je pensais pouvoir le contrôler lui aussi. Mais je pensais mal.

C'était un garçon formidable et drôle quand je l'ai connu. Peut-être un peu trop protecteur et possessif par moments, mais j'avais la naïveté de trouver cela mignon. Aujourd'hui, cela allait faire presque deux ans que nous étions ensembles, et je n'avais jamais eu le sentiment d'être aussi oppressée et surveillée. Il guettait chacun de mes mouvements, me suivait partout. Il m'arrivait d'en avoir peur par moment. Et pourtant... Pourtant je continuais à m'accrocher à lui... Désespérément...

Je n'avais jamais aimé être seule. Mon père travaillait souvent, il était propriétaire de plusieurs établissements dans le centre-ville. Il n'avait jamais eu beaucoup de temps à me consacrer et rares étaient les week-end que nous passions ensembles. Mais je ne lui en voulais pas. Non. Pas le moins du monde. Depuis le départ de maman, il s'était enfermé dans le travail. Pour oublier. Pour passer ses nerfs, sa colère et sa tristesse. Mais également pour nous offrir la meilleure des vies possibles. De ce point de vu là, je dois dire qu'il avait parfaitement réussi son job. Nous vivions dans un véritable petit palace en plein cœur du centre-ville. Tout y était moderne, neuf et branché. Je nageais littéralement dans le luxe et le confort. Une vraie vie de princesse. Du moins, en apparences...

Malgré son sourire, malgré ses rires et ses promesses, mon père me semblait terriblement malheureux. J'avais l'impression que, s'il s'acharnait à ce point dans son travail, ce n'était pas pour nous, non, mais pour elle. Pour lui prouver que nous n'avions pas besoin de sa présence pour vivre heureux et comblés. Pour lui monter que son départ ne l'avait pas anéanti. Qu'il était au contraire, devenu plus grands et plus fort que jamais. Plus fort... En dépit de toutes ces richesses, en dépit de tous ces artifices, depuis qu'elle était partie, depuis que Papa avait constamment dans les yeux cette insupportable lueur de tristesse, depuis que je m'étais retrouvée délaissée et désespérément seule, je n'avais jamais été ni vraiment heureuse ni vraiment comblée... Au contraire. Une peur m'habitait sans cesse. Un frisson, une ombre omniprésente. La crainte permanente et douloureuse d'être à nouveau abandonnée.

ApparencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant