Chapitre 35 - Sourire un peu plus

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Gadie

Le vent s'infiltrait désagréablement sous les replis de ma capuche, irritant ma peau de ses relents amers. Je frissonnai, enfouissant ma tête dans mes épaules. L'ombre rassurante de mon vêtement vint me recouvrir. Obscurité douce et apaisante. Mes yeux se fermèrent un instant. Des bruits, des murmures, de vagues odeurs. Mon nez se plissa avec dégoût, tandis que je rouvrais mes paupières. Cette journée empestait la merde, comme toutes celles qui l'avaient précédée auparavant. Un parfum de misère pathétique porté par un souffle lourd, moite et puant. Une mélasse emplie de pitoyables espoirs et de rêves bafoués. Une décharge d'afflictions écœurantes qui s'épanouissait sous un ciel aux couleurs de suie. Oui, cette journée était comme toutes les autres, si ce n'était pire.

Mes pieds avançaient lentement sur le bitume sale du trottoir. Mouvements mécaniques, incontrôlés, incontrôlables. J'étais devenue un automate, une de ces machines sans âme et sans vie qui existent sans ne plus en avoir conscience. Une masse de chair et d'os qui se traînait dans le gouffre de l'existence. J'allais quelque part, je ne savais où, mais j'y allais. Toutes les issues avaient été bouchées, il ne restait que ce couloir, froid, gris, fétide. Une voie unique dans laquelle ne brillait plus aucune lumière. Il faisait sombre. Trop sombre même. Mon corps s'engagea dans une ruelle.

Les immeubles blancs et sales de la cité se dressaient partout autour de moi. Des tours géantes et infranchissables qui encadraient ma route. Gardiens de cet enfers dont nul ne s'échappait. Cerbères aux dents de pierre. J'avançais au milieu d'elles, de ce pas trainant qui se voulait pourtant pressé. L'air se faisait plus lourd, plus oppressant. L'allure monstrueuse de ces blocs de béton me compressait, m'aplatissait sur ce goudron trop obscène. Je n'étais plus qu'une mouche, une misérable créature vouée au mépris cruel de ces dames de pierre. Ma tête tournait. Je suffoquais.

Clignant par deux fois des paupières, je forçais mon esprit à se focaliser sur un son, une odeur. Le vrombissement insupportable d'un moteur. Ne pas perdre les pédales. Ne pas craquer. Pas maintenant. Mes mains, enfouies dans la poche de mon sweat, pressèrent contre mon abdomen une liasse de papiers coupable. Présence rassurante. Poids d'une dette. C'était le prix de la mort que je transportais contre mon cœur. Le coût de la vie également. Des chaînes étouffantes qui comprimaient depuis bien trop longtemps le souffle de mon existence. J'allais m'en libérer, m'en délester. Les cracher loin, très loin d'ici. Oublier ces histoires, oublier ce passé, rêver d'un avenir... Quel avenir ? Je n'en savais rien. Je n'en savais plus rien. Mais il y avait ce poids entre mes mains, et il fallait qu'il disparaisse.

L'ombre des immeubles s'épanouit un instant pour libérer à ma vue deux arbustes misérables. Un mur souillé de tags. Nouveau donjon. Empire menaçant. Je me trouvais devant la porte des enfers.

Deux molosses inutiles étaient avachis dans un coin. Leurs lèvres gercées laissaient échapper des nuages de fumées sombres. Odeur de la mort. Je les jaugeai avec mépris. Ils me fixaient également, sans bouger, leurs yeux vitreux se contentant de suivre les mouvements fantomatiques de mon corps. Deux molosses... Deux ombres de caniches plutôt oui. Gisant sur le sol, tels des flaques de misères, ils ne semblaient pas être en mesure d'aboyer ou de grogner. Seul le déplacement de leurs pupilles ou le frémissement infime de leurs bouches trahissaient encore ce souffle qui animait leurs carcasses. Produits peu reluisant du commerce de la mort. Ils avaient mon âge. Peut-être même moins...

Sans considérer d'avantage le sort de ces pantins condamnés, je m'infiltrai dans le bâtiment. La gueule de Lucifer m'accueillie toute entière. Son feu commençait déjà à me lécher la peau, titillant mon cœur. Comme pour préparer ma viande afin de mieux me dévorer par la suite. J'étais dans l'antre du diable. Son haleine fétide et oppressante envahissait parfaitement l'espace. Je plaquai une main devant ma bouche.

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