Chapitre 22

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Gadie

« Voyons très Cher, le monde n'est pas un simple code binaire fait d'une austère succession de 1 et de 0 ! Le monde n'est pas cet assemblage froid de pixels blancs et noirs ! Non ! Car chaque pixel, aussi sombre ou clair soit-il, est composé d'un arc-en-ciel, d'un assemblage tout particulier de couleurs. Le monde n'est ni blanc ni noir, il est diversité !!! »

Un tintamarre assourdissant explosa alors dans les haut-parleurs et le couinement insupportable d'une armée de trompettes bouchées, assortis de leurs supers copains les violons désaccordés, vint aussitôt emplir l'espace. Serrant la mâchoire, je me tassai un peu plus contre le mur. Marie dandinait stupidement son énorme derrière tandis que Lucas s'effondrait sur le sol, comme subjugué par la tirade pathétique qui venait d'être déclamée. Je détournai le regard, effarée. Bon sang, déjà que le scénario laissait franchement à désirer, pourquoi avait-il en plus fallut que l'on confie à Tommy la composition de la bande musicale ! À ce rythme-là, mes tympans allaient finir par se mettre en grève. Et moi aussi par la même occasion !

Karim et Basile surgirent sur scène, vêtus de leurs élégants costume de piafs déplumés, et entamèrent avec Marie une danse endiablée au rythme des maracas. J'étouffai un soupir épuisé et appuyai ma tête contre le mur de briques noires, laissant avec dépit mes oreilles être inondées par ces cris monstrueux de castafiore enrouée. Mon existence était un cauchemar.

Je fermai les yeux, tentant de faire abstraction de la scène d'horreur qui se déroulait devant moi. Enfouis dans les manches de mon sweat, mes doigts trituraient nerveusement le couvercle de ma boite en métal. Je ne savais pas ce que je faisais là. Non que je détestasse ce lieu, bien au contraire : j'aimais venir ici, j'aimais ce théâtre et, en dépit de leurs misérables talents d'acteurs, j'adorais cette troupe de cinglés. Mais mon esprit était ailleurs. Marco envahissait mes pensées. Ses larmes, ses blessures et ses pleurs occupaient désespérément mon cerveau, foutant à l'envers mon cœur et mon estomac. Je ne pensais qu'à cela. A cet argent que je n'avais pas. A cette douleur qui brulait au fond de lui. A cet enfer sans fin dans lequel je ne cessais de sombrer.

Pourtant j'avais essayé de prendre en main la situation. Je m'étais résolue à le sortir de là, à nous sortir tous les deux de ce pétrin boueux. Ainsi, après avoir veillé de trop longues heures sur le sommeil perturbé de mon frère, je m'étais éclipsée pour aller flairer les quelques bourses qui trainaient dans le vieux pub de Ben. Entre deux bières, j'essayais de repérer les clients qui me devaient des services. Je n'avais pas d'autre solutions. Pleurer dans leurs bras n'aurait servi à rien : rien n'était gratuit dans ce bas monde, et je voulais à tout prix éviter de devoir quoi que ce soit à l'un de ces cadavres bourrés d'alcool et de pilules. Mais au vu du résultat, une entorse à cette règle sacrée allait finir par devenir inévitable...

2843,87. Ce chiffre se répétait en boucle dans ma tête. Comme une litanie. Il me hantait. 2843,87. C'était tout ce que j'avais pu récupérer. Tout ce que j'avais pu trouver, en grattant mes tiroirs, harcelant les clients, frappant les sales gosses de l'immeuble d'en face... Tout ce que j'avais amassé. Certes Marco aurait pu tenter de contacter quelques connaissances un peu fumeuses, mais depuis l'altercation avec Greg, disons que l'on ne pouvait plus vraiment compter dessus. Il s'était mis le ghetto à dos. Et cela n'allait pas vraiment arranger nos affaires... Crétin d'imbécile.

2843,87. J'engouffrai une nouvelle pastille.

- C'est le costume de dinosaure de Glenn perdue au milieu des marquis qui t'angoisse à ce point ?

Je sursautai. Bon sang, qui était l'idiot suicidaire qui avait osé venir troubler ce moment d'intense réflexion ?! Je tournai la tête, prête à libérer sur cette créature des enfer le feu qui bouillait en moi, avant de tomber nez-à-nez avec Laura et son opulente poitrine. J'haussai un sourcil, laissant retomber ma colère. Ben tiens, cela me changeait. Plantant mon regard dans ses pupilles effroyablement vertes, je lui adressai un regard agacé.

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