Mélina
Je traversai rapidement le grand hall du théâtre. Mes talons claquaient bruyamment sur le carrelage blanc, résonnant tristement dans le hall vide. Je comptais les secondes. Si mes calculs étaient bons, dans dix secondes je serais dans le bureau de mon père. Trois secondes pour traverser le hall. Fait. Trois autres secondes pour mépriser intensément le bureau de la secrétaire gâteuse. Fait. Et enfin quatre secondes pour tourner à l'angle du couloir et... Mince.
Devant moi, au fond du couloir, la porte du bureau de mon père se tenait droite, fière, légèrement entrouverte. Je fronçai les sourcils. Cela n'était pas franchement habituel. Certes je n'étais venue dans ce théâtre qu'à deux reprises, mais ce fut suffisant pour comprendre que le bureau du big boss n'était pas un lieu aussi simple d'accès que son nom pourrait laisser à croire. Il fallait une clé. C'était un instrument nécessaire pour ouvrir la porte aux merveilles. J'avais la clé. Mes jambes ralentirent le rythme. Je venais d'échouer mon challenge des dix secondes.
Sans faire de bruit, je m'approchai de la porte. Un léger bourdonnement s'en échappai. Enfin, un bourdonnement, c'était surtout une façon polie de qualifier le flot d'injures qui se déversait dans le couloir. Une voix douce, légèrement grave. Une voix étouffée par un tissu. Une voix qui m'était étrangement familière. Je frissonnai.
« Putain de porte à la con ! Je te jure que je vais t'exploser. Non, pire, si tu ne t'ouvre pas sur le champ je vais tellement te niquer ta race que même ta mère la foutue porte blindée sa maman flippera sa race en voyant à quel point je t'aurais déglingué ! Aller purée ! Chazam ! Sézame ! Merde ! Putain, mais pourquoi elle est pas foutue d'apprendre à écrire l'autre aussi ?! C'est à elle que je vais défoncer le trou de balle ! Des 4 qui ressemblent à des 5 et des 1... des foutus 1 qui ressemblent à des putains de 7! Merde ! »
Charmant. Je glissai mon œil dans l'entrebâillement de la porte. Le battant de l'armoire avait été ouvert et des piles de bouquins épais s'entassaient tout autour. Au milieu d'eux, à moitié cachée derrière le volet du meuble, une silhouette encapuchonnée s'agitait tout en libérant un flot d'insultes et de coups de pied à l'intérieur de l'étagère. Je fronçai les sourcils. Les battements de mon cœur s'étaient dangereusement mis à accélérer. Non. Je devais me tromper, cela ne pouvait pas être cela. Cela ne pouvait pas...
« Ok Maurice. C'est ta dernière chance et après je ramène la dynamite. On répète : 4-3-5-1... »
Je poussai doucement la porte, risquant un pas à l'intérieur. Les piles de livres s'entassaient toujours plus loin dans la pièce. Sur la poubelle, la chaise, le bureau... Je me figeai. Le bureau. Non. S'il vous plait, non. Pas cela.
Et pourtant si. Sur le bureau, surplombant une pile d'épais dictionnaires trônait une casquette que je saurais reconnaitre entre toutes. Une casquette mickey, légèrement usée sur le devant, avec une tâche marron au niveau du coin gauche. La casquette de Gady. Et cette silhouette camouflée sous un imposant sweat couleur vomi... Cette personne au vocabulaire enchanteur et à la voix si douce. Cette personne n'était autre que celui qui hantait désespérément mon esprit. Les battements de mon cœur s'emballèrent davantage. Je croyais me liquéfier de l'intérieur.
- Eh purée, encore raté... s'exclama-t-il sur un ton agacé. Ok Momo, tu l'auras voulu, je vais chercher ma bombe atomique et je te garantis que tu vas douiller sévère ! Tu regretteras toute ta misérable vie de boite de conserve rouillée et inutile ce jour où tu auras osé me faire face !
Prononçant ses mots, l'individu encapuchonné asséna un ultime coup de pied rageur contre le meuble puis pivota sur ses talons dans un mouvement nerveux. Il sursauta en me voyant. D'abord surpris, je le vis écarquiller les yeux sous sa capuche, puis reculer de quelques pas, enfonçant un peu plus son visage dans les ténèbres, l'air honteux. Il s'affaissa sur lui-même. Un silence lourd s'installa dans la place. Mon cœur se serra tristement dans ma poitrine. Je ne m'étais définitivement pas trompée.

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Apparences
RomanceQuelle chance Gadie, petite frappe de cité mal-embouchée, et Mélina, fifille à papa arrogante, avaient-elles de se rencontrer ? Et quelle chance ces deux là avaient elles de s'apprécier ? Aucune me diriez vous. Et vous avez bien raison. Mais par m...