Mélina
L'ampoule grésillait faiblement dans sa malheureuse prison de verre. Un. Deux. Trois. Elle s'éteignit. Puis se ralluma aussitôt. Un. Deux. Trois. Nouvelle coupure. Je grinçai des dents. Cela commençait sérieusement à me porter sur les nerfs. Assise sur le rebord d'un muret, mes pieds se balançant au rythme des secondes, j'observais le calme oppressant de cette rue vide et sombre. Seuls les néons aux couleurs atroces du fast-food d'en face semblaient redonner un semblant de vie à cette nuit trop obscure. Il était tard. Très tard. Le soleil avait disparu depuis longtemps déjà derrière les imposantes barres d'immeubles grises.
Le vent soufflait légèrement, faisant danser quelques mèches rebelles sur mon front. Un soupire s'échappa de mes lèvres. Je me sentais bien, apaisée. Sereine. Cela faisait longtemps que je n'avais pas ressenti pareil calme. Ce petit frisson de bonheur. Cette once de douceur. Oui, là, assise sur un muret, le regard perdu dans le vide, je me sentais bien.
J'avais longuement hésité avant d'oser venir le voir. Avant d'oser simplement remettre le nez dehors. Pendant plusieurs jours j'étais restée chez moi, cloitrée dans mon appartement de crainte que l'on me voie ainsi. De peur que chacun puisse découvrir sur moi les preuves criantes de ma lâcheté et de ma faiblesse. Mais je n'avais pas su résister plus longtemps. Il me manquait. Je ne savais pas vraiment pourquoi. Je ne comprenais pas. Pas du tout. Mais ce garçon un peu étrange aux doux yeux bleus me manquait terriblement. Cela était rare mais je me sentais bien à ses côtés. Je me sentais moi. J'aimais entendre le son de sa voix. J'aimais savoir son regard sur moi. Moquer son caractère maladroit, qui semblait pourtant tellement sincère et vrai. Entendre son rire. Admirer son sourire.
L'ampoule tressauta de nouveau. Je penchai ma tête en arrière agrippant mes doigts au muret. Qu'est-ce qu'il fichait ? Cela faisait une éternité que cet imbécile blond avait disparu dans ce restaurant miteux, osant honteusement m'abandonner, seule, dans une rue sombre et déserte. Certes, s'il était parti c'était pour aller chercher de quoi satisfaire les plaintes de mon estomac affamé mais tout de même... Oser me planter comme cela... Son kebab avait intérêt à être sacrément bon.
Soupirant, je passai une main dans mes cheveux. Mes yeux scrutèrent le ciel. Je ne voyais rien. Rien d'autre qu'un épais voile sombre surplombant le ciel. Il faut dire que l'éclat des lampadaires m'empêchait de distinguer quoique ce soit sur la voute céleste. Quelle ironie. Les innombrables réverbères du quartier, pourtant censés m'aider à voir plus clair dans cette obscurité maladive, me rendaient aveugle face à la beauté des cieux. Je pinçai mes lèvres, songeuse. Depuis combien de temps n'avais-je pas contemplé le ciel, sans artifice, sans rien ? Juste le regarder, me perdre dans l'immensité magnifique de l'univers. Depuis combien de temps, hein ? Je ne savais pas. Je ne me souvenais pas.
D'aussi longtemps que je me souvienne, j'avais toujours observé le monde depuis des terrasses et des hôtels luxueux, complètement éblouie par l'éclat insolent de l'opulence et de la richesse qui faisaient ma vie. Aveuglée par le masque de mon existence, je me contentais d'admirer la beauté de l'univers à travers des écrans, des vitres, des miroirs. Rares étaient les moments où j'osais retirer ce masque pour contempler le monde tel qu'il était vraiment. Affronter la réalité.
Sauf une fois.
Une fois oui. Une fois. Je m'en souviens très bien. C'était l'été, un doux mois de juillet. Je n'avais que cinq ans et ma mère vivait encore avec nous. La vie n'était pas tellement plus rose, le chant des oiseaux n'était pas tellement plus beau, mais je ne m'en rendais pas vraiment compte. Je n'étais qu'une gamine perdue dans un monde bien trop grand pour elle. Cet été-là pourtant, nous avions décidé de partir tous les trois, juste tous les trois, nous perdre dans la nature belle et sauvage de la montagne. Oubliés les hôtels luxueux, envolées les villas excessivement coûteuses de mon père, non, ma mère avait loué un chalet, un misérable petit chalet de bois perdu dans une plaine déserte. Du plus loin que je me souvienne, cela était bien la première fois que je quittais mon confort d'enfant pourrie gâtée. Et ce fut également la dernière. Mais pour la première fois de ma vie, il n'y avait rien autour de moi, rien d'autre que la douceur sauvage et sublime de la montagne. Pas de bruit de klaxon, pas d'odeurs artificielles et étouffantes, non, simplement la tendresse du vent, le parfum brut et humide de la terre et le fumet délicat des fleurs. Je m'en souviens si bien. Ma mère ne criait pas. Mon père semblait presque heureux. Je croyais à un rêve.

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Apparences
RomanceQuelle chance Gadie, petite frappe de cité mal-embouchée, et Mélina, fifille à papa arrogante, avaient-elles de se rencontrer ? Et quelle chance ces deux là avaient elles de s'apprécier ? Aucune me diriez vous. Et vous avez bien raison. Mais par m...