Chapitre 20

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Gadie

Le claquement de mes chaussures sur le sol résonnait bruyamment contre les murs. Il faisait sombre. Seule l'ampoule qui surplombait la porte grésillait encore dans l'obscurité, guidant mes pas dans leur périple nocturne. Je frottai mon avant-bras nu. Bon sang, mais pourquoi faisait-il si froid ? On était en été, mince à la fin ! J'étouffai un juron. La prochaine fois, j'y réfléchirais à deux fois avant de céder mon pull à la première girouette qui passe...

J'avais raccompagné Mélina jusqu'à l'arrêt de bus le plus proche, le moral en miettes. Après plusieurs minutes d'attente qui me parurent durer une éternité, elle avait finalement grimpé dans l'espèce de conserve ambulante qui lui servait de destrier, tout en m'adressant un timide salut de la main. Je me souviens encore de son petit sourire gêné tandis qu'elle agitait stupidement son bras de l'autre côté de la fenêtre. Quelques instants plus tard, elle disparaissait dans le labyrinthe sombre des ruelles de la ville. Je l'avais regardée s'éloigner, les mains dans les poches, ne savant que faire ou que penser. Mon esprit flottait dans le vague. J'étais ailleurs. Perdue.

Je gravi les dernières marches de béton, appuyant ma main contre la paroi froide. Mon regard s'était égaré dans l'obscurité. Cette soirée avait été particulière, bizarre. Pourtant tout avait bien commencé, si l'on excluait mes flagrantes et honteuses défaites à la salle d'arcade. Mélina s'était révélée surprenante, une fois encore. Sa vivacité et son sourire m'avaient surprise. Ses grands yeux verts posés sur moi m'avaient envoutée. Je m'étais même étonnée à la contemplée. Imbécile que je suis.

Je me frappai la joue, poussant du coude la lourde porte qui menait à l'étage. Mais qu'est-ce qu'il m'avait pris ? Je m'étais pourtant interdit de faire quoique ce soit. À quoi avais-je joué ? Aux imbéciles ? L'emmener dans ce parc, lui offrir mon sweat, lui baiser la main... On aurait-dit le remake d'un feuilleton à la noix pour pauvre ménagère esseulée ! D'un ridicule... pathétique. Je ne savais pas ce qu'il s'était passé. C'était arrivé d'un coup, sans crier gare. Elle m'avait soudainement fascinée. Son visage tout proche du mien, ses grands yeux verts posés sur moi, me regardant, avec attention. J'avais eu envie de lui sauter dessus. De me jeter sur ces lèvres roses qui m'appelaient. D'empoigner ces longs cheveux qui l'encerclaient. Cela n'avait tenu à rien. Rien. D'un seul geste, je m'étais vue briser irréversiblement cette barrière que je m'étais fixée. Défoncer ce bouclier invisible, à coup de bélier. Mais au dernier moment, au tout dernier instant, je m'étais retenue. Un coup de vent. Un brusque retour à la réalité. Je ne pouvais pas me permettre de lui faire cela, de lui mentir, de la trahir à mon tour. Elle ne méritait pas de souffrir une fois de plus. Pas de ma main. De personne d'ailleurs. Elle méritait d'être heureuse, tout simplement.

Mon regard balaya sans le voir le crépi blanc du couloir. Je plissai les lèvres, humidifiant légèrement leurs gerçures. Mes semelles de caoutchouc frappaient le carrelage sale. J'avais failli le lui dire. Je n'avais été à rien de tout lui avouer. De Libérer enfin ce poids qui pesait sur ma poitrine. De déverser sous ses yeux cette montagne de culpabilité qui me hantait. Quelques secondes peut-être. Un rien. Mais cette sonnerie m'en avait empêchée. Ce dernier rappel. Comme un ultime cri d'alarme avant la descente aux enfers. Mes lèvres s'étaient immédiatement closes. Elle n'était pas prête. Je n'étais pas prête. Pas prête à soutenir son regard emplit de dégout, ses paroles blessantes mais justifiées. Son rejet. Non, je n'étais pas prête à la perdre. Alors je m'étais tue. Tête baissée, je n'avais plus rien dit, ravalant mes mensonges. Combien de temps cela allait-il encore durer ? Combien de temps allais-je continuer à manipuler de la sorte cette malheureuse créature ? Je n'étais qu'un monstre. Un horrible monstre. Je ne valais finalement pas mieux que tous ces salauds que je méprisais. Une menteuse, comme les autres, abusant de charmes et d'apparences. Je me détestais.

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