Chapitre 36 : L'appel du vide

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Gadie

Le souffle tiède du jour vint lécher ma peau. J'émergeais des ténèbres. Le rire du diable résonnait toujours dans ma mémoire. Cinglant. Amer. Je me bouchais les oreilles. Cela me faisait mal à la tête.

Le sang affluait avec fièvre dans mes veines, traces palpitantes de mes récents emportements. Expirant un filet d'air chaud, je tentais vainement de me calmer. Ne plus penser. Ne plus réfléchir. À rien. Le monde n'était rien. Cet univers ingrat n'était que poussière. Ces êtres n'étaient que misère. Il n'y avait rien, rien qui ne justifie que je me souille l'esprit. J'avais besoin de calme, un tout petit peu de calme. Il fallait que cette tempête s'arrête. La bête ne devait pas surgir. Plus jamais. Elle avait déjà suffisamment sévit.

Expirant une nouvelle fois, je levais ma tête vers le ciel. Mon regard balaya la cime décrépit des immeubles. Tours de Babel, tours de misère. Elles s'érigeaient en armée pour tenter de défier les cieux et décrocher les étoiles. Mais la frontière de nuages et l'épais mur de pollution venaient briser leur rêve. Ce n'étaient que de stupides amas de béton qui se dressaient inutilement dans un paysage de grisaille. Des pics, des barres. Une ignominie de plus dans cet univers répugnant.

Mes pupilles sautèrent de toit en toit. De souvenir en souvenir. Des relents de mémoires amers venaient échouer dans ma bouche. Je les revoyais. Ces yeux, cette odeur. L'appel du vide. Le doux chant de la mort. Ils titillaient ma mémoire, s'échappant de ce couvercle que j'avais cru scellé pour toujours. Les vagues de mes souvenirs.





5 ans plus tôt...

Un avion vint zébrer le firmament terne de l'univers. Énième filon de poussière dans ce tableau de misère. La jeune fille le suivi du regard. Poignée de secondes, il disparaissait déjà vers de nouveaux lendemains. Il avait cette chance-là lui, de s'échapper, s'enfuir d'ici. Ce branlebas mortifère n'était qu'une énième paysage parmi tant d'autres déjà survolés. Une brique de plus dans cette mosaïque imparfaite qu'était le monde. Oui, il avait cette chance. Fuir l'ennui et naufrage de cette terre en se réfugiant dans l'illusion d'un bonheur chimérique. Le frisson d'un voyage pour oublier la morosité du quotidien. Le privilège de l'argent face à l'injustice des cités. Envole toi petit avion. Profite de cette dernière chance, pollue, souille tant qu'il en est encore temps... Car la réalité ne tarde jamais à refaire surface. L'ignominie de ce monde te poursuivra jusqu'en enfer.

Expirant une bouffée de fumé, Gadie vint mollement ajouter sa pierre à la ruine de l'humanité. Quelques particules de plus pour marquer cette terre de son passage. Il fallait bien cela. Que tous profitent de l'échec de son existence. Il n'y avait pas de raison qu'elle soit la seule à en pâtir.

Nouvelle expiration. De la cendre vint lui brûler les doigts. Faible grognement. Qu'était-ce la douleur du corps face à celle de l'âme ? Une babiole. Un frisson inutile pour détourner l'esprit des réelles priorités de l'existence. Quelles priorités ? Il n'y avait pas. Il n'y en avait jamais eu. Tout n'était qu'un amoncellement de futiles préoccupations, toutes plus vaines les unes que les autres, qui menaient indubitablement vers une mort certaine. Car tout ne tournait qu'autour de cela finalement. La mort. Cette ombre sinistre et puante qui rôdait tout autour de nous. Le spectre d'un enfer que l'on ne tarderait pas à connaitre. À quoi bon se donner la peine de souffrir dans ce cas-là ? Pourquoi se donner tant de mal si le destin était déjà tout tracé ? Pas de chance, pas d'espoir... Simplement le hasard d'une naissance pour apaiser les tourments cruels de l'existence. Plainte muette. Gadie jeta son mégot dans le vide.

Un nuage plus sombre et épais que les autres se formait lentement au-dessus de sa tête. Un gris intense, presque laiteux. Une couleur à la fois douce et agressive qui s'étalait lentement sur le plafond céleste. L'adolescente le regarda grossir, se répandre. Trainée de poudre, poison innocent. On aurait pu croire que les enfers même s'ouvraient sous ses yeux, prêts à l'engloutir toute entière. Gadie écarta les bras. Elle les attendait.

Allongée sur le rebord du toit, un de ses bras pendouillant dangereusement dans le vide, la jeune fille ne songeait plus à rien. Il n'y avait que ce ciel dénué de toute vie, souillée par la main mécanique de l'homme, et englouti par les ténèbres des nuages. Pas un oiseau, pas un rayon de soleil ni une tâche de couleur. Ce n'était que tristesse et désolation. Dans la profondeur infinie de ce ciel de misère, Gadie lisait l'absurdité vaine de son existence. 

Lentement, son regard bascula. Des nuages trop gris, ses pupilles passèrent à la cime triste des immeubles. Plates, mornes, sans intérêt. Pourquoi ces formes si cubiques, si froides ? Pourquoi ce manque flagrant de couleur, comme si ces lieux étaient depuis le début voués à héberger une misère humaine ? Des ghettos. Concentré de malheurs que des murs encerclaient pour cacher au reste du monde la laideur de l'univers. Belle réussite. Son regard continua à flancher. Les tours, les murs, les briques, les bagnoles, la taule, la solitude, le goudron, le sol. Le vide. Là, en bas. Ce macadam au noir trop intense. Un bitume accueillant. Elle le regardait. Il la regardait aussi, de ses pupilles de pierres d'asphalte. Il semblait l'appeler même, écartant ses bras pour réceptionner sa chute. « Viens », lui disait-il. « Viens, je panserai tes blessures. Avec moi, tu n'auras plus à t'inquiéter de rien. Tout sera fini. Oui. Fini. » Fini. Enfin respirer. Oui. Elle en avait envie. Elle en avait tellement envie. Que tout cela cesse. Que tous ses tourments se taisent, que ses démons arrêtent de remuer, que cet enfer prenne enfin fin. « Viens. » Elle venait. Il suffisait d'un pas. Un simple mouvement du corps et tout serait fini. « Viens... »

Un coup. Sur son nez. Sec. Brutal. Gadie écarquilla brusquement les yeux, détachant son regard de l'envoutant coaltar. Qui ? Que ? Nouveau coup. Elle secoua la tête, redressant péniblement le haut de son buste pour comprendre ce qui lui arrivait. Quelque chose, là, sur sa poitrine. Minuscule petite chose. Elle fronça les sourcils. Mais... Un bonbon ? Un énième projectile vint cette fois-ci percuter son front. Bonbon à la  menthe. Bon sang, mais qui était l'odieux crétin suicidaire qui osait ainsi perturber sa si studieuse séance d'auto-apitoiement ?!

Délaissant les affres larmoyantes de sa mémoire, elle braqua de nouveau son regard vers le sol, scrutant ombres et recoins afin de dénicher l'infâme bouffeur de mentalos. Il ne lui fallut pas longtemps. Non. Car le coupable ne se cachait même pas. Appuyé contre la tige fragile d'un réverbère, le pied posé sur le pneu usé d'une misérable moto, un minuscule nabot à la chevelure sombre et au visage digne des plus affreux zombies faisant rebondir une poignée de bonbons dans sa main. Un squelette vêtu d'un sweat vert. Un misérable sac d'os. La jeune fille le foudroya du regard. Ce dernier, nullement impressionné par cette vaine tentative de mise à mort, lui offrit en retour un sourire des plus affreux, le tout agrémenté d'un léger et insupportable signe de main.

Nouveau projectile.

Enfoiré.

Lâchant un soupir agacé, Gadie leva un doigt disgracieux en sa direction avant de se laisser glisser du bon côté du toit, la tête sur les graviers, le cœur vidé de toute énergie. Foutue journée.

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Hey ! Gadie et ses états d'âme dépressifs vous avaient manqués ? Bim ! Problème résolu ! Elle est de retour, et plus misérable que jamais ! Si cela ça ne vous requinque pas pour la journée, je ne peux plus rien faire pour vous..!

Non, trêve de plaisanteries douteuses...  C'est un chapitre court, je l'entends, mais qui a tout de même son importance. J'espère qu'il vous aura plu !

Gadie était au bout du rouleau, au bout du toit, au bout de tout je crois... Il s'en est fallu de rien, de quelque bonbons à la menthe. Comme quoi, la vie ne tient pas toujours à grand chose...

On dit merci à Monsieur maigrichon... Peut-être que vous l'aurez reconnu d'ailleurs, sinon patience, la suite vous éclairera !

Merci pour votre confiance, vos votes et vos retours !

À très bientôt !

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