Aidan avait ressassé dans son coin, isolé, ses derniers moments vécu. L'armurerie, le cadavre... Au matin même, il avait questionné le père de toute cette petite famille au sujet de ces couteaux qu'il détenaient discrètement sur eux, femme comme enfants. Il avait bien compris qu'il n'y était pas étranger et comprenait un peu plus la nécessité de se protéger, de se prémunir du danger qui guettait partout. Il n'y avait ni sécurité, ni sûreté. Il avait admis l'idée que les derniers fragments d'espoir disparaissaient les uns après les autres, et qu'il devrait s'en contenter. La terre entière était devenue sale, et pour y survivre, il devait se salir lui aussi; plonger dans les bas-fonds de l'abjection, et s'imprégner d'un supplice qu'il ne supporterait jamais, marqué pour toujours . Il avait le souhait de revenir chez lui une fois sa jambe rétablie, dans cette même maison où il s'était réveillé. Il songeait à la personne avec qui il partageait sa vie, perdue, sans la moindre trace de son existence. Peut-être était-elle encore vivante, quelque part dans une autre ville, prostrée au fond d'un abri ou agonisante dans les pâturages. Peut-être avait-elle rapidement quitté cette demeure, éviscérée par un monstre ou fauchée par une voiture en fuite. Les tentatives de la contacter par téléphone furent évidemment désastreuses, bien qu'il connaissait par avance la futilité de ces essais:
- Tu sais te servir d'une arme? Demanda Blake en arrivant, soda à la main.
Il lui proposa une gorgée, mais Aidan refusa. Il fixait inlassablement ce mur usé:
- Je m'en suis encore jamais servi... répondit Aidan en récupérant le soda.
- Personne ici ne sait. Mais on va en avoir besoin, c'est indéniable. Je songe depuis un moment à trouver un moyen de m'y entrainer. En plus, on sera pas foutu de reparer si un des flingues à un se bloque.
- Qu'est-ce que tu fait habituellement quand tu te retrouve dans une mauvaise situation?
- Je fais tout pour que ça m'arrive pas, sinon je fuis. Blake reprit alors une autre gorgée.
- Qu'est-ce que tu propose ? Faire de ta cave un stand de tir?
- Non, le bruit ramènerait immédiatement des saloperies ici. Et on peut pas se permettre de gacher ce qu'on as. Je t'avoue que je ne sais pas trop ce qu'on peut faire.
Ils s'arrêtèrent un instant, avant de rompre le silence de nouveau:
- Tu compte vraiment retourner là-bas? Demanda Blake.
- Dès que possible.
- Tu devrais rester ici. Tu prends un risque inutile.
- Je vais vite revenir, je compte pas m'éterniser. Si je trouve une voiture ça...
- Évite les voitures... Tu seras pas sorti de la ville que le moteur auras déjà attiré une montagne de merdes sur toi.Tout est devenu tellement silencieux que le moindre son finit par s'entendre au loin.
Il s'arrêta le temps d'une courte réflexion:
- Il m'en faudra pas plus d'une journée de toutes façons, même à pieds.
- T'emporteras un fusil avec toi. Tu risque d'en avoir besoin.
De nouveaux, ils rendirent la parole au silence, plus longtemps cette fois, avant de la reprendre:
- Qu-est-ce qui tu regrette le plus?
Blake, malgrè l'aplomb de cette question, réflechit un moment:
- Pour l'instant, rien de bien important. Seulement la vie qu'on menait avant. C'est difficile d'imaginer qu'on a perdu tout ça aussi rapidement. Passer mes après-midi à bricoler dans cette cave, que ca soit du bois ou de l'électronique. La cuisine ou le sport. Ouaip. Tout ça ça me manque. Et toi?
- Ma compagne, mes amis, mes livres. Je lisais beaucoup. J'adore la bande dessiné, je les collectionnais. J'en revendais, j'en achetais d'autres... Ça énervait Lauren quand j'en ramenais, on avait plus la place d'en stocker. J'en ai revendu une partie à cause de problèmes d'argent.
Le sourire d'Aidan s'effaça au profit d'une question:
- Tout le monde est mort, On est les derniers qui reste... Pourquoi pas nous? Pourquoi on est encore là?
- Je me pose souvent aussi cette question. En fait, je crois que tout le monde se la pose. Plus personne ne comprends pus rien. On ne sais même pas ce qu'on est en train de devenir. Peut-être que dieu lui-même ne sais pas non plus.
Durant une bonne partie de la nuit, ils discutèrent de nombreux sujets sans grands intérêts. Sur ce moment bienvenu, ils rièrent comme des amis d'enfance et se racontèrent différentes anecdotes sur leurs vie passée.
C'est à la semaine suivante, après avoir regagné plusieurs fois la surface de la terre avec Blake, après d'interminables journées à attendre sous terre, qu'Aidan s'apprêta à retourner chez lui. Alors que tout le monde dormait encore, il avait déjà préparé le Remington et la chevrotine ainsi que quelques provisions. Il se tenait debout, fusil et sac à l'épaule. La flamme au sommet de la cire coulante éclairait à moitié son manteau de cuir noir et épais. Il l'avait enfilé pour prévenir les griffes des bêtes furieuses. Son poignard était coincé sous la ceinture de manière préventive et une lampe torche accompagnée de quelques piles étaient glissées dans le fond de son sac. Il comptait suivre scrupuleusement les conseils de Blake, qui avait acquis certains comportements vitaux. La veille, il avait prévenu son départ imminent, et comptait retrouver la famille avant la tombée de la nuit. Les rues vides au-dessus de leurs têtes furent éclairés par le ciel depuis une demi-heure à peu près. Il n'attendait que cela pour se mettre en route.
Il souffla sur la bougie qui plongea instantanément la pièce dans le noir, ne laissant que la faible luminosité provenant du conduit d'aération. Il fit quelques pas vers l'escalier, ferma les yeux et prit une grande et profonde inspiration qui secoua son être d'un courant glacial. Il gravit les marches fragiles jusqu'en haut, où il considérait déjà être dehors, hors de l'abri. Dans le hall d'entrée, il entrouvrit la porte et vérifia d'un œil discret la rue de long en large pendant plusieurs secondes. Toute la ville était recouverte d'une couche froide d'humidité provoqué par un crachin microscopique, où toutes les couleurs s'étaient quelque peu noircie. Ne voyant aucun trouble, il posa un premier pied dehors, puis le second, avant de refermer derrière lui.
La petite bruine matinale déposa quelques très fines particules d'eau sur ses baskets érodées. Hormis sa présence, il n'y avait aucun mouvement dans la rue. Dès lors, il pensa à cette famille encore endormie, auprès de laquelle il voulait déjà revenir. Il avait peur, terrorisé par ce risque permanent qui n'attendait de lui qu'un unique faux pas, une seule seconde d'inattention. Mais il devait avancer. Après quelques déplacements, il prit son arme à la main et vérifia que les cartouches y soient, prêtes a l'emploi. Il prêta une attention particulière aux alentours, jetant de rapides regards vers les quelques coins incertains. Les ruelles, les vitrines, les innombrables véhicules, il imagina toutes les possibilités. Peut-être était-ce stupide de s'exposer à un tel danger pour si peu, d'autant plus qu'il n'était pas prêt à y faire face. Toute la route parcourue jusqu'ici, pour revenir en arrière si futilement. Il marchait, accompagné par les éclats étincelants des gouttelettes qui éclataient tout autour de lui. Son désir de trouver une voiture en état de marche fut grand, pour fuir, s'extraire de ces rues qui avaient la capacité se transformer en coupe-gorge a tout instant. Il savait pourtant qu'il n'avait nul part où aller, que partout ou il se trouverait le danger serait le même, et Blake lui avait bien fait comprendre que ses chances de survie en seraient diminués. Ses affaires n'étaient pas bien lourdes. Il avait emmené avec lui le minimum afin de ne pas être encombré en cas de fuite. Il ne savait pas ce que ces gens pensaient de lui, mais Blake avait l'air de l'apprécier, et la famille semblait s'être habitué à sa présence, même si, derrière les apparences, la méfiance fut probablement encore bien installée.
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Misérable rédemption
Science FictionL'existence passagère de l'être humain se clôture. Les sociétés bâties prennent fin. Son évolution se conclue et ses traces disparaîtront. Les derniers hommes se meurent, subsistent, tentant désespérément de survivre dans la crasse, l'affliction, l...