Après deux heures de marche, la solitude de la ville fut brisée par des appels retentissants, criants à quiconque pouvant les sauver. De rares déflagrations éclataient, non loin de là où se trouvait Aidan. Il s'était arrêté pour tendre l'oreille et tenter de retrouver la direction de l'agitation. Elle ne fut pas aussi lointaine qu'il pouvait l'espérer. Il se retourna brusquement, inquiet par l'imminence de ce qui se passait. Il observa, longuement, avant de distinguer deux hominidés en fuite. Il se baissa et s'accroupit à l'arrière d'une voiture. Les deux hommes se défendaient contre plusieurs monstruosités; ils criaient, frappaient et faisaient des mouvements hasardeux en déchargeant leurs armes automatiques sans compter les rafales qui se plantaient dans le décor. Tantôt, ils assénaient un coup de poing sur un adversaire approchant de trop près, tantôt des coups de griffes acérées les déchiraient. Aidan compta sept entités. Il tenait contre le sol son fusil prêt à être déchargé. Se sentant plus à l'abri que ces survivants, il était quelque part soulagé de ne pas être parmi eux en devinant le triste sort qui les attendait. Malgré la distance, il put voir quelques giclées sanglantes s'enfuir hors des corps. Quelques-uns s'étaient arrêtés de bouger entre deux coups portés, suite à de nombreux impacts qui les avaient traversés de part en part. Il entendit un des fuyards hurler de panique distinctement après une taillade trop importante:
- Je pisse le sang, bordel!
D'autres créatures semblables arrivèrent et les submergèrent. Depuis le début, leurs chances de s'en sortir étaient minces, leurs espoirs irréalisables et peu crédibles. Cette scène lui rappela quelque chose que lui avait appris Blake, un point sur lequel il insistait; l'importance de la discretion, et les deux pauvres âmes attiraient la mort en gesticulant, ébruitant leurs présence. Leur destin fut scellé, irrévocablement. Accroupi derrière la voiture, il assista impuissant à toute la scène. Mais il devait partir tant que cela fut encore possible. Il ne pouvait rien pour eux contre ces monstruosités qui continuaient à affluer.
Quand il décida de continuer discrètement son chemin, un monstre qu'il n'avait pas appréhendé le chargea rudement contre la portière du véhicule et le bitume. Étourdi par cet assaut surprise, la poignée de son arme lui échappa des mains. Alors que l'énergumène s'acharna sur lui, il le fit basculer en l'empoignant et se jeta sur son fusil. Il le repoussa une seconde fois d'un coup de pied et déchargea une chevrotine, le canon face à son visage. La moitié explosa en morceaux à l'impact des billes. Sa veste présentait dès lors des perforations en longueur et des traces sur l'épaule gauche. Sans savoir ce qu'il en était des deux hommes, il repartit, préférant éviter de devoir résister à une horde.
Vers midi, sous un ciel illuminé, il arriva non loin de cette maison dans laquelle tout avait commencé pour lui. Il avait marché monotonement durant plusieurs heures sans s'arrêter, pour revenir avant le coucher du soleil. La ville fut exactement la même qu'à son départ, rien n'avait bougé. Il sentait ici le danger moins guetteur.
En passant la porte d'entrée, il reconnut le remugle immonde qui l'avait bercé dans la salle de bain. Il voulait repartir aussi vite qu'il était venu, mais chaque pièce lui faisait se remémorer son passé. Il se rendit dans un salon aussi pitoyable que le reste de la maison. Il fixa plusieurs recoins de la pièce, se rappelant de moments joyeux vécus lors de sa vie antérieure. Un modeste cadre tombé sur la moquette, avec le reste des débris, l'interpella aussitôt. Il en retira la photo pour laquelle il était venu. Elle le représentait sur un banc, tenant dos à lui une femme plus petite dans ses bras, dont les cheveux bruns étaient finement ondulés. Elle avait quelques mèches qui recouvraient ses yeux verts au-dessus d'un nez court. Sa mâchoire fine laissait place à un menton quelque peu pointu, sous une large bouche aux dents bien blanches. Tous deux repliés en avant, ils arboraient ensemble un sourire comblé. Après quelques pas en arrière, rivés sur sa photo, son dos heurta le mur. Il se laissa glisser par terre. Son cou se pencha et s'enfonça entre ses jambes introverties.
Une violente compression aussi soudaine que malvenue s'empara de sa tête, suivi d'une rétractation de son œsophage. Il sentit un blocage dans sa respiration qui le fit haleter comme un asthmatique. Sa respiration, cancéreuse. Même en s'appuyant sur le meuble, la force lui manquait pour se relever. La panique éclata. Éprouvant de la difficulté à bouger, son corps tout entier commença à s'engourdir. Il sentit s'amenuiser toutes les forces de son corps. Ses jambes s'alourdirent, s'affaiblirent, flanchèrent, il tomba sur les côtes. Un voile noir cacha progressivement ses yeux. Sa conscience s'envola.
Quand il se réveilla dans le plus grand des calmes, il releva enfin la tête et essuya ses larmes presque sèches sur ses yeux rougis. Il tourna son regard autour de lui, cherchant à comprendre ce qu'il s'était passé. Le mal inconnu lui avait rendu l'énergie qu'elle avait siphonnée. Peut-être était-ce la fatigue accumulée depuis ces derniers jours. Il se releva, saisit le cadre puis le rangea dans son sac. Il le fixa une dernière fois et le disposa au fond, sous la nourriture et les munitions. Désormais, cette feuille l'accompagnerait partout et à chaque instant. À l'avenir, elle serait sans doute pour lui un soutien qu'il protégerait à tout prix.
VOUS LISEZ
Misérable rédemption
Science FictionL'existence passagère de l'être humain se clôture. Les sociétés bâties prennent fin. Son évolution se conclue et ses traces disparaîtront. Les derniers hommes se meurent, subsistent, tentant désespérément de survivre dans la crasse, l'affliction, l...