Le calme de la rue, sommeillant depuis des jours, ne semblait pas avoir été perturbé par l'entrée en force des deux hominidés. Au bout de la rue, un cric résistait indéfiniment sous la solide barrière d'un magasin d'armes. Sa devanture était encore distincte, malgré les carcasses disséminées qui pourrissaient sur son trottoir.
Sur la vitrine du présentoir était posée la besace de Blake. Un petit foulard rose, qui appartenait à sa fille, était serré sur la sangle. Les deux fusils à pompe qu'ils voulaient emporter, un Mossberg 590 et un Remington 870, s'alignaient en équilibre contre le mur. Ils étaient tous deux d'un noir mat, propre. Aucune trace d'usure ne les avaient encore souillés. Les deux hommes venus piller la boutique s'étaient assis contre le carrelage austère. Ils mangeaient quelques provisions emportées pour l'occasion, à quelques mètres l'un de l'autre. Entre ses lèvres, Blake fumait une cigarette rougeoyante dont la fumée s'élevait. Les deux extrémités se joignaient presque. Pour lui, le butin était plus maigre que ses espoirs:
- Dis-moi Blake, Qu'est-ce qui s'est passé a l'hôpital ? Tu as dit avoir utilisé beaucoup de munitions là-bas. Demanda Aidan.
- L'hôpital ? Un sacré merdier. Quand tout s'est calmée j'y suis allé pour récupérer des médicaments. J'ai retrouvé là-bas des collègues qui ont eu la même idée. Y a eu des coups de feu, et quelques-uns de ceux qui surveillaient à la fenêtre sont tombés. On s'est jetés par terre, ça nous a surpris. C'était confus, personne n'a compris ce qui se passait. Une grenade aveuglante est rentrée par une fenêtre. J'entendais plus rien et ca m'a bousillé les yeux. On s'est défendu depuis le sixième étage, puis d'autres sont encore tombés. On se faisait abattre comme des mouches sans réussir à riposter correctement. Je n'osais pas me relever, ca n'arrêtait pas. Ils ont finis par défoncer la grille de l'arrière-cour. On a compris qu'on avait interet à fuir, tant pis pour les médicaments. Chacun est parti dans sa direction. Moi je suis descendu un étage plus bas avec un ami. Il avait été touché à l'épaule.
Il s'arrêta sur ce dernier mot, repensant aux coups de feu qu'il entendait depuis la chambre:
- On a réussi à sortir de l'enceinte en évitant de tomber dessus. On pensait avoir réussi mais en s'éloignant, on s'est refait tiré dessus depuis les fenêtres. Il est tombé de mes bras et j'ai dû continuer seul. J'ai juste eu le temps de me retourner rapidement, mais ça m'a suffi. Il était sur l'herbe, complètement troué. Je suis revenu avec quelques médicaments, et surtout pleins de sang ...
- c'était d'autres survivants?
- Qui d'autres? Ils voulaient sûrement s'approprier les médocs. Rien de plus.
- Il va bien y avoir quelque chose pour nous sauver...
- Tu penses aux secours? Personne ne viendra nous chercher. Ils nous ont lâché dès le début, quand le chaos à commencé à régner dans les rues. Les gouvernements nous ont rapidement laissés sans nouvelles. On n'a pas eu la moindre information, ou de traces les concernant.
- C'est peut-être parce que vous vivez reclus comme des rats que vous n'en savez rien.
Blake se senti insulté par tant d'ignorance:
- Y a plus que nous j'te dit! Cette cave, c'est le meilleur endroit possible. Regarde Amanda, elle les attend, et pour encore longtemps. Je suis en train de la perdre à cause de tout ce qu'elle croit. Son état empire tous les jours. J'ai été obligé de mettre des antidépresseurs dans son soda, mais il ne m'en restait pas beaucoup. Ca a eu au moins eu le mêrite de l'empêcher d'y penser pendant quelques jours. Elle écoutait toujours sa putain de radio en espérant entendre quelque chose. J'ai fini par la balancer contre le mur, parce que jamais y aura de secours pour nous sortir de là! On avancera à rien si on s'accroche à cette idée.
Aida était désemparé. Il n'arrivait toujours pas à réaliser que l'homme était retombé dans ses plus bas instincts. Le silence s'installa entre eux. Aidan baissa la tête, éperdu. Blake reprit:
- C'était quoi ton travail avant tout ça?
- J'étais carreleur, dans une entreprise familiale. Répondit-t-il en le regardant de nouveau. J'aimerais retourner chez moi. Tu vas m'aider?
- Chez toi? Désolé mais ça sera sans moi. J'peux pas me permettre un déplacement si ça ne m'apporte rien. Je sais pas ce que tu va faire là-bas, mais tu devrais éviter de prendre des risques inutiles si tu veux mon avis.
- Je sais, mais j'ai quelque chose à prendre. Conclut Aidan sur un ton plus murmuré et soufflant.
Blake se leva, suivi d'Aidan, laissant quelques détritus par terre. Le mégot de Blake était encore fumant. Ils retournèrent sur leurs pas, emportant tout ce qu'ils avaient acquis. Les deux fusils pendaient à leurs épaules par leurs sangles, canon vers le ciel. Pour Blake, son sac était trop léger. Aidan dévisageait les bâtiments. Chaque enseigne, chaque vitrine, chaque véhicule abandonné rendaient un air de déjà vu, un paysage meurtri qui devenait routinier par le temps et l'espérance. Un paysage auquel on ne faisait plus attention, mais toujours aussi sinistre, pesant toujours un peu plus sur le moral.
Ils auraient aimé revivre ces instants indifférents, quand les individus défilaient en grand nombre indistinctement. Quand les foules flânaient de jour comme de nuit. Quand ils conversaient au milieu de toutes les autres discussions. Quand Ils côtoyaient les rangs de voitures bien rangées, le long des bordures, pendant que d'autres attendaient patiemment leurs tours sous le grondement des klaxons. Mais tout appartenait à un passé lointain. Toutes ces banalités qui faisaient la vie de chacun, transformées en un rêve inatteignable pour le plus insignifiant des instants.
Un cadavre sans blessures apparentes était inanimé sur l'asphalte, entre les détritus communs des rues. Absent lors de leur premier passage. C'est cette fraîcheur qui interpella Blake. Son sac à dos était encore fermé. Il se dirigea vers lui et se baissa:
- Qu'est-ce que tu fais? demanda Aidan, gené.
- Son sac est fermé, c'est pas un homme qui l'a abattu. Ca a l'air encore plein, alors je regarde ce qu'il a. Fouillant ses poches et lui arrachant ce qu'il jugeait utile.
Blake fouilla ses poches, arrachait au cadavre ce qu'il jugeait utile. Aidan détourna le regard. Examiner un cadavre de cette façon fut pour lui immoral, dégoûtant. Il savait pourtant qu'a l'avenir, cela deviendrait courant et instinctif, comme cela semblait l'être pour son ami. Blake remarqua sa gêne. Tout cela était devenu si habituel pour lui qu'il en avait oublié qu'une telle habitude ne pouvait être innée. Il reconnut s'être trouvé à sa place, autrefois.
Tout le monde était particulièrement calme ce soir-là. La famille de Blake avait déjà pris, comme à son habitude, son maigre et supposé repas. Amanda se déshabilla dans un coin de la cave, loin de la bougie. Sa silhouette fut encore visible. Elle retira son pull polaire, laissant entrevoir son buste. Elle était incroyablement chétive, mourante et souffreteuse. Sous son teint blafard, sa peau sans vie s'enfonçait entre les os de sa cage thoracique faillible, comme aspirée de l'intérieur. Sa masse osseuse fut certainement plus importante que le reste. Son enveloppe était trop fine pour contenir son propre bassin dont les contours étaient en évidence. Ses muscles avaient fondu sous la détresse. Elle découvrit ses jambes qui ressemblaient à des brindilles dont l'épiderme atteignait presque l'ossature. Les tendons ressortaient sous des lignes bien droites et fines, tout comme ses bras. Ses longs doigts étaient distinctement séparés entre eux par le manque de muscle. On imaginait facilement sous ces courbes trop géométriques un squelette tout entier. Une chute la disloquerait probablement en une centaine de morceaux, de la même manière qu'un château de cartes abîmées. La misère avait prit possession d'elle. Elle n'était plus rien, son apparence était aussi insignifiante que sa personne. L'idée de survie, elle ne l'avait pas abandonnée, puisqu'elle n'y avait jamais prit part. Son apparence fut à l'image du monde. Elle enfila d'autres loques qui n'avaient de vêtements que le nom, recouvrant son esprit et son corps maladif. Elle considérait de cette façon avoir amélioré son hygiène. Elle s'aspergea d'une dizaine de jet de parfum avant de revenir sous la faible lueur de la bougie odorante.
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Misérable rédemption
Fiksi IlmiahL'existence passagère de l'être humain se clôture. Les sociétés bâties prennent fin. Son évolution se conclue et ses traces disparaîtront. Les derniers hommes se meurent, subsistent, tentant désespérément de survivre dans la crasse, l'affliction, l...