Chapitre 5 - Ubortol

9 4 3
                                    

« 452

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

« 452

1° Dans sa lecture consécutive, est constitué d'abord de 4, symbole de la mort et du chaos pour les Chinois, plus grand chiffre magique des Amérindiens, nombre des nobles vérités des Bouddhistes, plus petit nombre carré ; puis de 5, moitié de 10 (nombre parfait des Pythagoriciens), numéro atomique du bore ; et enfin de 2, moitié et racine carrée de 4 (premier chiffre de 452), plus petit nombre premier, donne 5 (deuxième chiffre de 452) en diviseur de 10 (nombre parfait des Pythagoriciens). Interprétations : Mort-Bore-Diviseur ; Mort-Division-Imperfection ; Vérité-Division-Diviseur ; Chaos-Bore-Imperfection [...]

2° Dans sa lecture systémique, est introduit par 4, séparé de 2 par 5 (symbole de division de 10), alors que 2 est en relation avec les deux autres chiffres de 452 (il en est le résumé) mais doit passer par 10 pour trouver 5. Interprétation : 452, introduit en 4, résumé en 2, séparé en 5 (ou 42 séparé en 5 ?), fortement lié à 10 [...]

42° Dans la lecture particulière ubortolienne, est 42 corrompu car 42 est la réponse à la Question fondamentale de la Vie, de l'Univers et du Reste et 5 corrompt cette réponse en séparant ses deux constituants, 4 et 2. Nota : la lecture ubortolienne est privilégiée pour l'interprétation du Code d'Ubortol. »

Scrabblea, section Numera

Tous les jours, Zébulon se levait entre quatre et onze heures, c'est-à-dire à six heures trois, mangeait, allait aider l'épouvantail jardinier au potager ou au verger, mangeait de nouveau, retournait aider l'épouvantail jardinier, prenait des cours avec le docteur Schmidt qui lui enseignait tout et même plus (bien que Zébulon n'en retînt pas le seizième), aidait le docteur au bâtiment des expériences ou à la tour d'astronomie, mangeait, prenait des cours avec le docteur puis allait se coucher. Les « cours » se déroulaient dans le salon, une pièce très confortable et bien meublée. En réalité, ce n'étaient pas des cours à proprement parler, mais plutôt des conversions pendant lesquelles le docteur parlait de beaucoup de choses, dont beaucoup échapperaient certainement à la compréhension des pauvres mortels que nous sommes. Et quand Zébulon disait « Je ne comprends pas », le docteur répondait « Ça n'a aucune importance, vraiment aucune importance ».

Mais quelque chose intriguait Zébulon depuis son arrivée. Il y avait dans le vestibule du cottage une petite statue de moins de quarante-trois centimètres en or, représentant un homme debout, de corpulence moyenne, vêtu d'un pull aux manches remontées sur les coudes. Il portait des lunettes et souriait de toutes ses dents. Ses cheveux semblaient partir un peu dans tous les sens mais retombaient de chaque coté de son visage, laissant voir son crâne sans pour autant être rares. L'homme avait l'air un peu fou mais dégageait une impression de chaleur sympathique. Le socle de la statue portait une inscription en ivoire :

DY452CS

* * *

Zébulon avait neuf ans, à présent. Il était devenu un érudit pour son âge. Certains l'auraient sans doute trouvé asocial, mais il n'avait personne à qui parler et l'isolement a parfois des conséquences terribles. Ce jour-là, il était assis dans son fauteuil tandis que le docteur discourait dans le sien sur l'art de la plomberie et l'épigénétique comparée des diverses espèces extraterrestres connues. Arrivé au point culminant de son soliloque, sa voix retomba lentement, progressivement, avant de s'éteindre complètement, signe qu'il avait fini et qu'il attendait que Zébulon posât une question ou entamât un autre sujet, faute de quoi un silence gênant s'installerait avant que le docteur ne se décide à commencer une nouvelle leçon. Or justement, ce jour-là, Zébulon avait une question :

« Docteur ? Que représente la statue dans l'entrée ?

- Ah ... souffla le docteur d'un air mystérieux, c'est le Principe de Sagesse, le Bouddha éthéré d'Hyperborée, le dix-neuvième Gardien, Celui-qui-n'était-pas-Jules, le Trône des Puissants ... En un mot, Ubortol !

- Euh ... rétorqua vivement Zébulon

- Ubortol, ce qui dans l'antique langue des Sages d'Hyperborée signifie : le très docte ! Ubortol, qu'on appelle parfois le Prénom de Dieu car il est le début, le commencement, la genèse de toute sagesse. Il nous a laissé pour nous guider sur cette voie son Code, une suite de chiffres et de lettres : DY452CS.

- Qu'est-ce que ça veut dire ?

- DY, c'est Divus Ybys, le divin Ubu. CS, c'est Collegium Septentrionalis, le Collège du Nord. Quatre-cent-cinquante-deux, c'est ... plus compliqué. Va chercher le Scrabblea. »

Le Scrabblea, c'est ce livre si ancien et pourtant si complet, écrit il y a bien longtemps par les Sages d'Hyperborée. Il est divisé en deux parties : le Numera qui explore toutes les significations possibles de chaque nombre ; et le Littera qui explique comment associer un mot à un nombre en fonction de règles complexes et d'inimaginables équations. En utilisant d'abord le Littera puis le Numera, on pouvait trouver le sens profond et caché de chaque mot, chaque nom, en tenant compte du contexte dans lequel il était employé. Les Sages d'Hyperborée étaient des génies. Ubortol aussi d'ailleurs.

* * *

Le docteur referma le Scrabblea.

« Et voilà, Zébulon, la signification de 452. 42, la réponse à la Question fondamentale de la Vie, de l'Univers et du Reste, est coupé en deux par 5, celui dont la tâche est de diviser puisqu'il divise déjà 10, le nombre parfait, en deux.

- Et concrètement, ça veut dire quoi ? s'enquit, désappointé, Zébulon.

- Concrètement, ça veut dire qu'Ubortol nous montre le chemin de la connaissance suprême, et que ce chemin commence par le Révérend Père Ubu et se termine au Collège du Nord. Selon une autre interprétation, le Code serait une liste de course cryptée destinée à concevoir une machine à laver hyper-intelligente. C'est douteux.

- Le Collège du Nord ?

- Le Collège du Nord. Un lieu plein de mystères. Un bâtiment gigantesque. Certains disent qu'il est hanté, qu'on s'y perd facilement, que c'est un lieu de terreur et d'aventures. D'autres prétendent que c'est le palais de la bureaucratie et que rien n'est plus fastidieux que de s'y rendre. Les deux sont sans doute vrais. En tout cas, c'est une institution puissante quoique pleine de contradictions. C'est un lieu de recherche et d'enseignement qui attire des savants et des érudits venus de tous les points du Globe. L'État y fabrique des armes perfectionnées dans les sous-sols. C'est une plaque tournante de l'espionnage international. C'est un lieu de retournements de situation, de trahisons et de réconciliations ; de méfiance et d'ouverture ; de sympathie et d'hypocrisie. Et pourtant, c'est l'un des endroits les plus surs au monde, car le directoire y régit tout d'une main de fer. Et dans l'une des nombreuses salles se trouve le Temple d'Ubortol. C'est dans cette salle toujours fermée à clef que, dit-on, Ubortol enseigna. C'est là qu'il a disparu, et c'est là qu'il reviendra. On dit que dans cette salle on peut lire, gravé dans la pierre, son véritable nom.

- Parce qu'Ubortol n'est pas son vrai nom ?

- Non.

- Comment le sait-on ?

- Vois-tu, Zébulon, il y a bien longtemps, les pataphysiciens ont mis au point un tableau très intéressant qu'on nomme la table scrabblique. En disposant les différentes lettres d'un mot dans les emplacements du tableau à l'aide des équations du Scrabblea, on peut lire directement la valeur numérique du mot. Le nom Ubortol devrait avoir comme valeur 42, 10 ou 19. Or, ce n'est pas le cas. Donc ce nom est faux. Partant de l'idée qu'Ubortol n'a pas menti, il a été supposé que son véritable nom était une anagramme du mot "Ubortol", une anagramme dont la valeur numérique serait 42, 10 ou 19.

- Oh » dit seulement Zébulon. Et il s'endormit.

Le Docteur et l'ImpératriceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant