« Très chère amie,
J'ai bien reçu votre lettre ... furibonde. Je sais pertinemment que Deathman et son Protocole Secret pour la Conquête du Monde sont dangereux pour nous, pour l'essence même du Complot International, et je comprends votre exaspération face à mon manque de réaction. Mais songez à ma vie et pardonnez à un vieil homme qui s'est un peu entiché de sa créature ... Dois-je le rappeler, madame ? Deathman – ou Vorontsovitch comme on l'appelait à l'époque – est ma créature. J'ai planifié sa naissance dans ses moindres détails et je l'ai vu grandir. Il a été ma joie et ma déception. Et pourtant, même les bouteilles d'eau minérale parfumée à la carotte ont été une victoire ! Pour la science ! Mais vous n'êtes pas une scientifique. Pouvez-vous seulement concevoir le bonheur de la création, l'émerveillement face à la Chose que l'on a créée, qui n'est autre que le prolongement de soi, en bref, l'exaltation de la Découverte ? Le docteur Schmidt me comprendrait, lui. »
Lettre du Pr Tito Prosov, non datée, destinataire inconnue
Pensif, Deathman entra dans son bureau du 99e étage de la Deathman Tower. Quelques problèmes commençaient à surgir dans l'application du Protocole. Ainsi, on avait dû faire assassiner outre-Atlantique, à L'Agglomération, un consultant en électroménager un peu trop curieux et consciencieux. Deathman savait très bien que cela risquait de se produire un jour ou l'autre, mais si tôt, si tôt ... Quelqu'un se racla la gorge. Supposant que c'était lui-même, Deathman se gifla car il détestait ce son. Lequel recommença. Aussitôt, dégainant une mitrailleuse Gatling de la poche intérieure de sa veste, Deathman tira au hasard sur tout ce qu'il pouvait toucher dans le bureau (heureusement, les vitres étaient désormais blindées). Après une demi-heure de cet exercice, Deathman, satisfait, s'assit à sa table de travail. Mais le raclement de gorge retentit une troisième fois, et Deathman réussit alors à en identifier l'origine : c'était l'homme sur lequel il venait de s'assoir (et qui attendait vraisemblablement là depuis longtemps). Maugréant, Deathman se leva, permettant à l'homme de se redresser d'un air digne. Deathman le salua :
« Bonjour, professeur Prosov.
- Bonjour, Vorontsovitch, répondit le professeur.
- Il y avait bien longtemps que personne ne m'avait appelé par ce nom.
- Je m'en doute, mais j'ai toujours eu une profonde aversion pour les noms américains. Et pour le jus de pamplemousse, aussi.
- Moi, ce sont les chaussettes à fleur que je ne peux pas voir.
- Je sais, tu piquais une crise quand on t'en offrait.
- Vous ne m'avez jamais offert de chaussettes à fleur.
- Si, si, en 1962, quand on nous a accordé des fonds supplémentaires, nous avons décidé de te faire un cadeau pour célébrer l'occasion.
- Oh ! C'est vrai, je m'en souviens, à présent. Mais elles sentaient mauvais.
- Ce doit être pour ça que tu n'aimes pas les chaussettes à fleurs. Traumatisme d'enfance.
- Oui, les odeurs fortes ont toujours été un facteur de traumatisme. Mais je résiste de mieux en mieux. Je fais des bains d'égouts pour m'habituer.
- Excellente idée, les bains d'égouts. Même si j'ai lu quelque part qu'il valait mieux éviter pendant les repas.
- En effet. Les repas sont à éviter pendant les bains d'égouts. J'ai mangé du fromage français aujourd'hui. Les fromages français sont très bons, surtout l'hiver, même si nous sommes en été. J'aime de plus en plus le fromage français, surtout avec du persil. Mais le persil se trouve de plus en plus difficilement, de nos jours.
- Oui, il est régulièrement remplacé par la sauce barbecue.
- Pourtant, le fromage français à la sauce barbecue, c'est très mauvais.
- Je suis d'accord. En revanche, les vins groenlandais s'accommodent très bien avec la sauce barbecue.
- Certes, mais j'ai des doutes sur la qualité des vins groenlandais.
- Il ne faut pas. Mon petit-neveu, qui est roi du Monomotapa, aime beaucoup les vins groenlandais, et il en offre à sa femme.
- Vraiment ? A sa femme ? C'est une excellente idée ! Savez-vous si les vins groenlandais masquent bien le gout du cyanure ?
- Avec le vin groenlandais, utilisez plutôt du glyphosate.
- Merci beaucoup, j'y penserai. Au fait, c'est curieux mais je croyais que votre petit-neveu était plombier au Liechtenstein ...
- C'est le frère de celui qui est roi du Monomotapa. Ils n'ont jamais eu les mêmes hobbys. Mais il est vrai que je parle plus souvent du plombier, l'ainé. Le fils cadet, lui, est un peu la brebis galleuse de la famille. Je me souviens du jours où il a annoncé à ses parents qu'il voulait devenir roi du Monomotapa. Il devait avoir seize ans. Il a été immédiatement chassé du domicile familial et renié par ses parents. A l'inverse, leur premier fils, déjà diplômé à l'époque de l'École Supérieure de Plomberie Analytique de Vaduz, était – et est toujours – leur grande fierté.
- Ça ne m'étonne pas. Les gens sont stupides.
- Oui, surtout quand ils mangent des chaussettes groenlandaises à la sauce barbecue alors qu'il y a du cyanure dans les égouts du Monomotapa.
- Tout-à-fait. »
Il y eut un silence. Puis, Deathman prit la parole :
« Vous vouliez me voir ?
- Ah ! Oui ! C'est vrai ! Pour la dernière fois, je suis venu t'ordonner de mettre un terme à l'application de ton Protocole Secret. Le Complot International est plus puissant que ta CMWTLSDSA Ltd. Si tu persistes, tu seras détruit. »
Il y eut un silence. Dans un coin de la pièce, une blatte chauve retint son souffle pour éviter de briser la magie de l'instant.
« Le Complot, dit Deathman à mi-voix, ne peut rien contre moi. Je conquerrai le Monde, quoi que vous m'ordonniez.
- Bon. Eh bien, je dois te tuer. »
Sur un geste du professeur Prosov, un robot tueur d'aspect infernal entra dans la pièce. Il s'approcha de Deathman, ouvrit la bouche en grand, armant un fusil-laser-boule-scalpel.
« Une menace a été détectée » dit le robot tueur de sa voix de synthèse.
Et tout se passa à une vitesse terrifiante : le logiciel antivirus s'activa, remarqua que le robot lui-même était un virus, entérinant l'autodestruction de l'engin dans une gerbe de flamme, que, par chance, le docteur Laperdrov (qui venait d'entrer dans la pièce) filma. Le professeur Prosov, quant à lui, regarda le robot démoli et dit :
« Bon. Je reviendrai. »
Et il sortit sur son bâton sauteur.
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Le Docteur et l'Impératrice
FantasyPourquoi ont-ils tué les parents de Zébulon ? A quoi travaille l'étrange Sir Ogier de Pique ? Que fait le Christ amnésique dans cet hôpital psychiatrique ? Quel complot se trame dans l'ombre ? Pour répondre à ces questions, un seul endroit : le Coll...