Chapitre 9 - Petite initiation à la couardise

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« Dans la lutte contre le Complot, c'est sans conteste l'Ordre du Poireau qui a toujours été le plus virulent. La date de fondation de l'Ordre se perd dans les limbes immémoriaux de l'Histoire. Les grands précurseurs posèrent dès le Moyen-âge, peut-être avant, les bases d'un système qui devait perdurer des siècles. Créé à l'origine dans le but de tuer des dragons, sauver des damoiselles en détresse et accomplir toutes sortes de quêtes héroïques, l'Ordre du Poireau était dirigé par un unique Grand'Maitre sous l'autorité duquel étaient rassemblés Commandeurs et Chevaliers.

Malheureusement, à partir du XVIe siècle, le renouveau technique, politique et économique rend l'Ordre obsolète. Il sera mis en sommeil vers 1650 avant de renaitre de ses cendres deux siècles plus tard sous l'impulsion de Jackeline d'Orange et du Collège du Nord. Finis, les dragons, les princesses et les quêtes héroïques. Fini aussi, le système Grand'Maitre – Commandeurs – Chevaliers. Bienvenue à l'ère moderne ! Sous le nom de Jackeline Ière, Jackeline d'Orange devient la première Haute-Mère d'un Ordre du Poireau aux fondations entièrement renouvelées. Désormais, Officiers et Agents de l'Ordre disposent des dernières technologies et leurs réseaux d'information sont les mieux organisés au monde. »

Zébulon de Saint-Pierre, La Conspiration des retraités

Le docteur Schmidt raccrocha et remit son téléphone portable dans sa poche en fronçant les sourcils. Il toussa, vomit, puis expliqua :

« C'était l'Auteur. Il m'a dit qu'il n'avait pas la moindre idée de la façon dont il allait nous tirer de ce supermarché, et qu'en désespoir de cause, il s'est résolu à m'appeler directement. Il m'a donné des instructions à suivre impérativement. Oh ! Et il a ajouté de ne pas dire que c'était lui, sous peine de discréditer le roman. »

Un silence lourd de non-sens faillit s'installer : l'assaut venait d'être lancé par les forces de police.

« Docteur ! s'exclama le colonel Moutarde. Allez-vous nous dire qui est la femme qui parlait dans le mégaphone ?

- Plus tard ! répondit l'intéressé. Courez ! »

Et malgré sa canne, le docteur Schmidt courut. Ses deux acolytes le suivirent. Ils coururent. Et dans leur course, ils croisèrent Marila Âl Iram et le dodo-capitaine qui se disputaient à propos de la marque de beurre fermier qu'il fallait acheter. Le docteur, courant-claudiquant, criait :

« Courez ! »

Et ils coururent à leur tour (Marila, du moins, puisque le dodo était perché sur son épaule). Le docteur Schmidt les fit sauter par-dessus un rayonnage précis à un moment précis de façon à contourner un groupe précis de policiers, ce qui leur permit de sortir du supermarché à un endroit précis à un instant précis (car, évidemment, les instructions de l'Auteur sont toujours extrêmement précises, l'Auteur étant... Non, la modestie m'empêche de continuer... mais bon, voilà... c'est comme ça... que voulez-vous...). C'est alors qu'ils continuèrent de courir. Puis, pour changer, ils coururent. Et finalement, ils coururent. A ce stade de leur course, la meilleure solution leur parut être de continuer à courir. Alors, ils poursuivirent leur activité principale : ils coururent. Et lorsqu'ils en eurent assez, eh bien ! ils continuèrent de courir. En fin de compte, et en un mot comme en cent : ils fendirent l'air à la vitesse d'un cheval au galop.

* * *

Le Véhicule franchissait les grandes portes de béton armé de L'Agglomération. A l'intérieur, nos protagonistes épuisés par leur course montaient tant bien que mal l'escalier de la tour et s'installaient dans les chaises longues qui s'y trouvaient toujours. Ils observèrent le paysage. A l'instant où ils dépassèrent les portes, ils s'aperçurent qu'ils sortaient par une forêt, une grande forêt. Les arbres étaient hauts et portaient leur cime aussi loin qu'ils le pouvaient. Ainsi, la moitié basse du paysage était brune, c'étaient le sol et les troncs ; à l'inverse, la moitié haute du paysage était verte, le vert des feuillages. Entre les arbres, des rayons de lumière balayaient la forêt, la nimbant d'une lueur quasi-fantomatique. Et dans cette lueur marchaient, spectraux, les Chasseurs de Mouches, tout de blancs vêtus, qui avançaient en ligne discontinue, espacés les uns des autres de cinq bons mètres. Chacun portait une raquette électrique avec laquelle, de temps à autre, il fouettait l'air, abattant une mouche de plus. C'était un spectacle très impressionnant et réellement magnifique. Zébulon de Saint-Pierre interpela le docteur :

Le Docteur et l'ImpératriceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant