« Tout mouvement induit un déplacement d'air. En temps normal, ce déplacement est trop infime pour être perceptible. On peut cependant, avec un long entrainement, acquérir la parfaite maitrise de ses gestes et de l'air qui nous entoure. Imaginez la masse d'air que vous pouvez mettre en mouvement simplement en agitant convulsivement le petit doigt de pied. Imaginez à présent que grâce à un mouvement simultané des doigts (de la main cette fois) et de la hanche, vous puissiez emprisonner cet air, le concentrer, pour ne le relâcher qu'au moment voulu, d'un coup et dans une direction précise. Vous pourriez alors déstabiliser, blesser voire tuer votre adversaire, fissurer, abattre un mur de pierre. Tel est le principe de base de l'æmanvi.»
Maximilien de La Fosse-Zombie, Encyclopédie Centrale, partie « guide de l'æmanvi »
Zébulon de Saint-Pierre et le docteur Schmidt se tenaient face-à-face, apparemment immobiles. Mais on pouvait deviner les infimes mouvements de l'un comme de l'autre aux bourrasques de vent qui agitaient l'espace qui les séparait. L'æmanvi en pratique. Chacun des infimes courants d'air créés avait été conçu dans le cadre d'un schéma global que chaque adversaire tentait de mettre en place pour prendre le dessus. La victoire appartiendrait au plus concentré, au précis ... et au plus fin stratège !
Mais il est toujours difficile de prévoir dans quelle mesure les courants que l'on projette interfèreront avec ceux de l'adversaire. Et parfois, la manière dont les vents se croisent produit des évènements étranges. C'est ce qui advint ce jour-là, et bien sûr ni Zébulon ni le docteur ne devaient jamais en avoir connaissance.
Au cœur de ce maelström, de multiples courants déplaçant une certaine quantité d'air avec une certaine puissance à une certaine vitesse se rencontrèrent à un certain endroit d'une certaine façon, de telle sorte que si n'importe lequel de ces paramètres avait varié ne serait-ce que de quelques millièmes d'une inconcevablement petite unité, il ne se serait rien passé. Mais en l'occurrence, la valeur desdits paramètres était exactement celle qui était nécessaire, et il ne manquait qu'un ultime ingrédient pour que se produise l'Évènement : encore eût-il fallu que trois moucherons de taille et masse équivalentes au millionième de milligramme près entrassent simultanément par des points équidistants dans une sphère imaginaire de centre O et de rayon R = Mα/σn-1 tels que O fût le centre de gravité de l'ensemble des courants précités, Mα le QI médian des habitants du départements des Alpes-Maritimes et σn-1 l'écart-type de la série statistique composée des distances séparant chaque doigt de chacun des deux protagonistes, y compris les distances séparant les doigts de l'un et les doigts de l'autre et celles séparant les doigts de pied.
Or, il se trouve que par une coïncidence aussi implacable qu'imprévisible, trois moucherons entrèrent simultanément par des points équidistants dans la sphère imaginaire de centre O et de rayon R. Par chance pour l'humanité, l'un des moucherons avait une masse supérieure de 1,07∙10^-5 mg à celle des deux autres, ce qui empêcha la destruction totale et irrémédiable de la planète mais provoqua tout de même, pendant 13,48 picosecondes, une faille dans les protections quantiques que le docteur Schmidt avait pris soin d'établir autour de son domaine.
Très loin de là, sur le toit de l'Université Lomonossov de Moscou, divers instruments, capteurs de machins et détecteurs de bidules, s'agitaient dans tous les sens dans l'espoir de retrouver la trace du docteur. Dans l'une des cinq mille pièces du bâtiment, un ordinateur à la puissance de calcul de cinq pétaflops analysait, triait et archivait rageusement les informations récoltées par les instruments. Voilà cinq ans qu'il avait été construit, et depuis cinq ans il archivait toutes les informations dans la même partie de sa mémoire, celle qu'il avait dans son for intérieur dénommé « sans intérêt ». Autant dire qu'il s'ennuyait prodigieusement. Il ne le savait pas encore, mais ce jour-là devait être celui où il atteindrait son but.
Soudain, une petite antenne parabolique, que le professeur Prosov avait longuement hésité à installer car elle lui paraissait assez inutile mais qu'il avait installé quand même car elle était aussi assez mignonne, capta un signal inhabituel. Il faut comprendre quelle chance c'était pour elle : pour capter un signal, il fallait qu'elle se trouve au bon moment pointée vers l'endroit exact duquel ce signal était émis, or elle ne tournait qu'à une vitesse de six tours par minute et venait de détecter une onde émise pendant seulement 13,48 picosecondes, comme elle devait le calculer par la suite. Aussitôt, elle prit conscience de l'importance de sa découverte et l'envoya au superordinateur par circuit prioritaire, lequel ne fonctionnait pas car il n'avait jamais été utilisé. Aussi la petite antenne parabolique réexpédia-t-elle le message par le circuit normal, qui n'était de toute façon pas plus lent car avec un ordinateur doté d'une vitesse de calcul de cinq pétaflops, on peut s'attendre à ce que le traitement de l'information soit assez rapide. L'ordinateur sortit de sa langueur habituelle lorsqu'il prit connaissance dudit message : enfin, on avait détecté une onde encéphalique à quintuple relai radio émise par le docteur Schmidt.
Car oui, telle était le seul emploi de la petite antenne parabolique : détecter les ondes encéphaliques à quintuple relai radio. Mais je pense qu'à ce stade, je vous dois une petite explication : le cerveau humain (nous considérons le docteur Schmidt comme humain bien que ce point soit sujet à controverse) est parcouru d'impulsions électriques, lesquelles génèrent tout un tas de trucs plus ou moins en rapport avec notre histoire, dont les fameuses ondes encéphaliques qui ont cependant une portée ridiculement faible. Aussi, pour qu'elle puisse être détectée, l'onde doit avoir été relayée par un moyen quelconque. Il se trouve que la fréquence de l'onde varie en fonction de la distance entre les relais. Autrement dit, en étudiant ces variations, notre superordinateur était désormais capable de localiser avec précision l'endroit duquel le docteur Schmidt avait émis cette onde, et ainsi de retrouver au pire un endroit où il était passé, au mieux celui où il habitait.
Ce soir-là, le professeur Prosov dina, un sourire carnassier rivé au visage.
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Le Docteur et l'Impératrice
FantasíaPourquoi ont-ils tué les parents de Zébulon ? A quoi travaille l'étrange Sir Ogier de Pique ? Que fait le Christ amnésique dans cet hôpital psychiatrique ? Quel complot se trame dans l'ombre ? Pour répondre à ces questions, un seul endroit : le Coll...