Chapitre 7 - La Mort et le Bonhomme de Neige

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« Que lit Mamnou ?

Que l'imam noue !

Que limâmes-nous ? »

Maximilien de La Fosse-Zombie, Les Errances de la Grande Paulette

Mathieu Falcon, consultant en électroménager, ratait toujours tout ce qu'il faisait, et même ce qu'il ne faisait pas. Et comme tous les gens qui rataient tout ce qu'ils faisaient (et même ce qu'ils ne faisaient pas), il avait tenté de se suicider. Mais même là, Mathieu Falcon avait encore échoué, ce qui était sans doute l'une des choses les plus frustrantes qui pût arriver à quelqu'un. Bref, Mathieu Falcon n'aimait pas la vie, et cela tombait plutôt bien, vu qu'il venait de mourir ...

Le corps étêté de Mathieu Falcon gisait au milieu du jardin à quelques mètres à peine de la tête, qui était elle soigneusement saupoudrée d'ongles. Aussi curieux que cela pût paraitre, l'assassin avait pris soin de panser les plaies béantes sitôt la décapitation achevée, et l'on ne trouvait pas une goutte de sang par terre. Quant aux ongles, ils avaient été soigneusement découpés pour former des croissants parfaits avant d'être répandus sur le visage du mort. Tout cela, l'amiral-chef premier superintendant Kionet l'avait parfaitement repéré.

Le travail d'amiral-chef premier superintendant de police était loin d'être de tout repos, surtout pour un bonhomme de neige de l'âge d'Albus Kionet, qui était pourtant considéré (et ce malgré une conjonctivite encéphalique précoce) comme l'un des meilleurs enquêteurs du pays. Aussi avait-il décidé de prendre sa retraite dès qu'il aurait terminé sa dernière enquête. Malheureusement, il ne saurait qu'une enquête était la dernière qu'une fois qu'il aurait cessé d'exercer ses fonctions, tant et si bien qu'il avait à présent dépassé de 83 ans l'âge normal de la retraite.

Mais pour l'heure, l'amiral-chef premier superintendant était concentré sur sa quinzième révolution autour de l'infortuné macchabée, quand il remarqua soudain que les yeux de la victime étaient teints artificiellement avec une substance qui leur donnait un aspect doré (ou brunâtre selon l'angle de vue).

« Tiens, ses yeux sont teints artificiellement avec une substance qui leur donne un aspect doré ... remarqua-t-il soudain.

- Ou brunâtre selon l'angle de vue » ajouta un apprenti constable adjoint qui passait par là.

La victime se droguait, pensa sombrement Albus Kionet. Il décida de vérifier cette intéressante conclusion en consultant son miroir-légiste de poche.

« Miroir, mon beau miroir, dis moi si cet homme se droguait, demanda poliment l'amiral-chef premier superintendant.

- Voui » répondit pesamment le miroir.

Cette information laissa Albus Kionet de glace : il n'était guère surpris. Il décida de rentrer au commissariat. C'était maintenant que le véritable travail commençait.

A peine pénétrait-il dans le bâtiment du commissariat que l'amiral-chef premier superintendant voyait déferler sur lui l'imposante masse de l'éléphant de service.

« Votre Honneur, dit-il de son étrange voix de crécelle, le concierge aimerait que vous arrêtassiez de mettre de la neige partout.

- Certes mais encore ? rétorqua aussitôt l'officier.

- Vous avez raison, j'allais oublier ! On sait quelle est l'arme du crime. C'est une faux, votre Honneur.

- Hm hum, lança prudemment le haut-gradé, et son interlocuteur s'en trouva tout confus.

- Et on a retrouvé dans la cabane au fond du jardin une bouteille d'eau minérale parfumée à la carotte qui n'appartenait pas à la victime. Et l'absence d'empreintes digitales dessus n'appartenait pas non plus à la victime » termina précipitamment le pauvre éléphant avant de s'enfuir tout aussi précipitamment.

Une bouteille d'eau minérale parfumée à la carotte ? Les choses prenaient un tour intéressant. C'était encore insuffisant, toutefois. Albus Kionet consulta le Fichier National des Consultants en Électroménager. La profession étant considérée comme dangereuse et manipulant des informations sensibles, elle était sévèrement contrôlée. Un grand nombre de détails personnels devaient par conséquent être versés au Fichier par ceux qui, comme Mathieu Falcon, y avaient un dossier. C'est ainsi que l'officier de neige apprit que Mathieu Falcon n'avait pas de petite amie (ni d'ami tout court d'ailleurs, ajoutait un agent de régulation des consultants en électroménager qui avait surveillé Mathieu Falcon pendant un mois), mais qu'il entretenait de bonnes relations avec sa voisine, une certaine Paulette John. Albus Kionet se promit d'aller la voir. Un détail dans le dossier retint son attention : Mathieu Falcon avait reçu une forte somme d'argent d'un compte en banque basé au Bhoutan. Cela pourrait fort bien être un pot-de-vin, songea l'amiral-chef premier superintendant. Rien d'étonnant à cela : bien que hauts-fonctionnaires de l'État, les consultants en électroménager avaient toujours fait un peu peur aux gouvernements successifs, et étaient par conséquent fort mal payés (ce qui était particulièrement déplorable, étant donné l'importance de leurs missions).

Albus Kionet ordonna à son adjoint de chercher l'origine du virement, tandis que lui-même se dirigeait vers le Service de Divination Judiciaire. C'était peut-être l'un des bureaux les plus impressionnants de la police : plus de mille voyants, rassemblés dans une gigantesque salle, penchés jour et nuit sur leurs boules de cristal, à la recherche des criminels, délinquants et fraudeurs de toutes sortes. Le chef du Service, un aveugle clairvoyant, salua l'amiral-chef premier superintendant :

« Salut, votre Honneur ! J'ai entendu dire que vous aviez eu des problèmes de dos, la semaine dernière ?

- Oui, il avait un peu fondu. Mais maintenant, ça va mieux, merci.

- Allez, j'vous laisse vaquer à vos occupations. Oh ! un détail encore, j'sais qu'vous aimez bien consulter l'vieux Freddy, quand vous venez ici, mais aujourd'hui, évitez : il a vu la fin du monde dans quelques années ! La Terre qui se désagrège, l'Univers qui s'effondre, et tout et tout ... Il a dû faire une erreur d'manipulation : tous les autres voyants disent que tout va bien ! Tenez, ça m'rappelle un truc que j'ai entendu y'a pas très longtemps ! Vous voyez, l'apocalyptographe ? Au collège du Nord ! Mais si, l'espèce d'horloge qui indique toute seule pour quand c'est, la fin du monde ! Bon. Eh bien, y parait qu'elle dit c'est pour très bientôt, elle aussi ! Fou, non ? »

C'est à ce moment qu'il s'aperçut qu'Albus Kionet ne l'écoutait plus : il était déjà parti. Et la voyante que le bonhomme de neige avait sous les yeux lui annonçait qu'elle voyait un nom apparaitre de plus en plus clairement, un nom en rapport direct avec le meurtre, un nom en D, D-E ...

D-E-A-T-H-M-A-N ?

Le Docteur et l'ImpératriceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant