Chapitre 1 - Il était une fois

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Jadis, dans une contrée lointaine, vivait un roi qui avait une fille unique qu'il chérissait comme la prunelle de ses yeux. Chaque matin, chaque midi, chaque soir, il la regardait avec un amour qui jamais ne se flétrissait. Or un jour, une méchante sorcière profita de ce qu'il était aux toilettes pour enlever la chair de sa chair, son enfant adorée, et l'emmener dans son lugubre château aux confins du pays. Désespéré, le roi s'effondra au pied d'un grand chêne et pleura. Il pleurait tant et tant que ses larmes, peu à peu, formèrent un petit ruisseau.

En ce temps-là déjà, la lutte contre les méchants et les autres quêtes héroïques étaient confiées aux puissants chevaliers de l'Ordre du Poireau. Or justement, l'un d'entre eux, le prince Théodulphe, passait non loin de là. Il n'avait que deux défauts : il ne savait pas monter à cheval, et il était un peu naïf. Et tout cela, son fidèle destrier le savait, et avait réussi à le manipuler de sorte que c'était Théodulphe qui portait son cheval et non le contraire.

Le prince Théodulphe donc, haletant sous le poids de son loyal compagnon, vit tout-à-coup le ruisseau de larmes. Il décida immédiatement de le remonter vers sa source, et il courut deux jours et deux nuits avant d'atteindre le grand chêne au pied duquel gémissait le pauvre roi. Il fit descendre son cheval et s'approcha. L'infortuné monarque leva alors la tête et, apercevant la cape jaune ciel des chevaliers de l'Ordre du Poireau, reprit espoir. Ils parlèrent, et le prince Théodulphe promit de délivrer la princesse et de l'épouser. Pour plus de sureté, le roi rédigea un contrat en quinze clauses et deux annexes qu'il fit signer par son preux interlocuteur.

Et le périple commença. Le valeureux prince partit dans une direction quelconque en sachant que ce serait forcément la bonne. Peu de temps après, il arriva en vue d'un château en or dont les occupants avaient perdu l'unique clef alors qu'ils étaient tous sortis. Seul un écureuil était resté à l'intérieur et risquait de mourir de faim. Le prince Théodulphe, pris de pitié, réfléchit et trouva une solution astucieuse : il enfonça la porte du château d'or, libérant ainsi l'écureuil, qui lui promit de lui apporter son aide en toutes circonstances. Emplis de gratitude, les habitants du château indiquèrent la direction du château de la sorcière et le prince partit dans la direction opposée.

Or, tandis qu'il courait, éperonné par son cheval pour atteindre plus vite la sinistre demeure de la sorcière, il croisa le Petit Poucet et ses six frères qui s'étaient trompés de conte, ce que le prince-chevalier leur signifia d'un air méprisant. Par bonheur, ils retrouvèrent leur chemin, ce qui leur permit de se perdre comme convenu dans la forêt, et tout rentra dans l'ordre.

Peu de temps après, il arriva en vue d'un château en myrrhe dont les occupants avaient perdu l'unique clef alors qu'ils étaient tous sortis. Seul un pangolin était resté à l'intérieur et risquait de mourir de faim. Le prince Théodulphe, pris de pitié, tenta d'enfoncer à nouveau la porte, mais hélas sans succès. Il appela alors l'écureuil à l'aide. Aussitôt arrivé, celui-ci se mit à l'œuvre et lécha par trois fois la serrure, déclenchant ainsi le mécanisme d'ouverture et délivrant le pangolin. Ce dernier était un grand sage et s'aperçut très vite que le vaillant destrier du prince n'était qu'un escroc manipulateur. Il lui parla longuement, et à la fin, le cheval fut pris de remords et s'excusa en pleurant auprès de son maitre, qui ne comprit d'ailleurs pas pourquoi il le faisait. Puis, les habitants du château de myrrhe, emplis de gratitude, indiquèrent la direction du château de la sorcière et le prince partit dans la direction opposée.

Peu de temps après, il arriva en vue d'un château en encens dont les occupants avaient eux-aussi perdu l'unique clef alors qu'ils étaient tous sortis, laissant à l'intérieur un éléphant incapable de se nourrir seul. Le prince Théodulphe, pris de pitié, tenta d'enfoncer la porte, mais il n'y réussit pas. Il lécha à trois reprises la serrure, mais la porte demeura close. Alors il appela l'écureuil à l'aide. Celui-ci réfléchit, saisit la lampe d'Aladin qui passait par là, et incendia le château, libérant ainsi simultanément l'éléphant et une agréable odeur d'encens qui devait faire le bonheur des habitants de la région pour bien des siècles. Pour les remercier, le pachyderme enseigna au prince l'art de l'équitation. Enfin, emplis de gratitude, les anciens occupants du château d'encens lui indiquèrent la direction du château de la sorcière et le prince partit dans la direction opposée, en chevauchant pour la première fois.

Très vite, il atteignit le lugubre palais de son ennemie. La porte était fermée, mais il y avait de toute façon bien longtemps que la sorcière en avait perdu la clef et qu'elle rentrait toujours par la fenêtre. Le prince réfléchit, souleva le paillasson, prit la clef qui s'y trouvait, ouvrit la porte et entra. Cependant, la méchante sorcière était là et elle avait un plan. Elle alla proposer du thé à Théodulphe qui – agréablement surpris – accepta. Ils s'installèrent donc tous deux dans le petit salon et commencèrent à discuter.

Mais le preux prince-chevalier ignorait que la sorcière avait empoisonné sa tasse de thé. Prévenu de ce stratagème par l'Auteur, l'écureuil entra par la fenêtre et s'écria : « Un éléphant rose ! ». Le chevalier et la sorcière tournèrent la tête simultanément et l'écureuil, profitant de l'inattention la vieille, intervertit subrepticement les tasses de thé. La sorcière, n'ayant pas vu l'éléphant rose, ce qui était normal puisqu'il n'y en avait pas, commença à boire d'un air méfiant quoique légèrement distrait. Soudain, la couleur de sa peau vira au vert agrume, et des boutons violets à rayures bleuâtres apparurent sur son visage. Et elle mourut. Le prince Théodulphe, déçu de ne pas avoir pu la tuer lui-même, exécuta une danse folklorique russe autour de la table basse et du cadavre de la sorcière.

A ce moment, la princesse enfin délivrée entra dans le petit salon. Elle portait un uniforme de l'armée de l'air luxembourgeoise, et était très laide. Le prince n'avait, curieusement, plus aucune envie de l'épouser. Or, le seul moyen d'y échapper, conformément au contrat conclu avec le père de sa future dulcinée, était de mourir. Il mourut donc d'apoplexie cardiaque.

La princesse se jeta alors sur le corps sans vie de son ex-futur époux et commença à pleurer. Or, c'est à ce moment que la porte s'ouvrit de nouveau, et que le royal paternel de la princesse, profondément soulagé de la revoir, apparut dans l'encadrement. Il était venu aussi vite qu'il avait pu mais son tapis volant était malencontreusement tombé en panne et il avait dû poursuivre son chemin en fauteuil roulant, moyen de locomotion fort peu pratique ; aussi avait-il finalement opté pour un compromis entre les deux : le tapis roulant, hélas assez lent. Le roi était toutefois très heureux que le prince soit mort car cela le dispensait d'avoir à donner une dot, du moins le pensait-il. En effet, sa fille lui réclama un mari avec tant de lamentations et de gémissements qu'il dut se résoudre à lui en trouver un le plus vite possible. Il promena son regard dans le petit salon et le regard en question tomba alors sur la seule autre âme encore vivante dans la pièce. La princesse et l'écureuil se marièrent dans un faste à ce jour inégalé, vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants ...*


* N.d.l'A. : l'Auteur vous laisse libre d'interpréter à votre convenance la morale de ce conte.

Le Docteur et l'ImpératriceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant