Chapitre 5 - Ce que trame Sir Ogier

12 3 5
                                    


« Au Père Hocquet, protonotaire surnuméraire de l'Église Catholique Romaine et officier du Saint Ovades,

L'Église court aujourd'hui le danger le plus grand. Le Diable a convoqué un concile extraordinaire à Varsovie dans le but évident de destituer le Seigneur et de se faire proclamer Dieu intérimaire. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour retarder l'ouverture du concile, mais nous ne pourrons pas, malgré notre Sainte Autorité, l'empêcher définitivement. Nous faisons appel à vous, mon fils, pour que vous retrouviez le Fils de l'Homme, le Christ-Errant, ressuscité d'entre les morts, car il n'est jamais mort, le Fils. Retrouvez-le et amenez-le à Varsovie. S'il apparait au concile, nous serons sauvés, notre Autorité spirituelle comme temporelle sera reconnue. Allez, mon fils ! Vous emmènerez avec vous Sir Ogier de Pique, qui est volontaire pour vous accompagner.

Le Très-Saint-Père, serf des serviteurs de Dieu »

Ordre de mission non daté adressé par le Pape Pie ¼ au Père Hocquet

La chapelle Sainte-Aposiopèse était plongée dans l'obscurité. Entièrement. Presque entièrement. Devant l'autel, deux hommes discutaient à la lueur vacillante des cierges. Depuis quelques temps, expliquait le premier, les bougies censées indiquer la présence du
Christ ne brillaient plus que quelques secondes, provoquant des élans de panique dans la paroisse. Cette homme, c'était le curé de la chapelle Sainte-Aposiopèse, le Père Oxyde d'Ammoniaque. Son interlocuteur, qui n'était autre que le Père Hocquet, lui répondait que la même chose se produisait partout, et que c'était un signe d'espoir car cela signifiait qu'Il était ressuscité.

Dubitatif, le Père Oxyde d'Ammoniaque tendit à l'officier de l'Ovades la boite à cierges. Le Père Hocquet accepta et en prit un qu'il porta à sa bouche. Le chanoine local l'imita et sortit un briquet de sa poche-kangourou. Les deux ecclésiastiques allumèrent leurs cierges et, pensifs, commencèrent à fumer en silence.

Soudain, le téléphone à cadran rotatif que le Père Hocquet avait fixé sur l'autel* en arrivant sonna. Le prêtre-officier décrocha. Il écouta quelques instants, sans rien dire, ce qu'on lui murmurait à l'autre bout du fil, avant de déclarer : « c'est bon, vous pouvez revenir à la chapelle. Prévenez les autres ». Il raccrocha, regarda le Père Oxyde d'Ammoniaque et lui dit : « Nous n'avons rien trouvé. Le Seigneur ne semble malheureusement pas se trouver dans L'Agglomération. Peu importe ».

La chapelle Sainte-Aposiopèse fut bientôt emplie de prêtres et autres moines, membres de la Mission, qui racontaient ce qu'ils avaient vu dans la vaste cité, c'est-à-dire rien qui pût intéresser leurs confrères. Le Père Hocquet, toutefois, regardait fulminant la porte de la chapelle. Sir Ogier n'était toujours pas revenu.

* * *

Le centre-ville de L'Agglomération. La place des Pendus, sur laquelle s'élève l'hôtel de ville néoclassique du XIXe siècle qui marque le carrefour des quatre axes majeurs de la métropole, quatre larges avenues bordées de maisons Renaissance du XVIe et de bâtiments administratifs plus récents tel le Central Ordurier (art déco) qui gère la circulation des déchets dans toute la ville et délivre accessoirement les dérogations qui permettent de visiter les égouts historiques (construits par les envahisseurs Sassanides au IIIe siècle de notre ère). L'ensemble est surplombé par trois imposants gratte-ciels dans le plus pur style impérial stalinien (première moitié du XXe) : l'école primaire Thérèse Le Vasseur, le restaurant de la gare et surtout la prison municipale. Cette dernière était de l'avis de tous les spécialistes un véritable chef-d'œuvre architectural. Sa construction, ordonnée par les rois des Entrejours en l'honneur d'Ubortol, avait nécessité le travail acharné de plus de trois mille ouvriers pendant vingt ans. Les plans, disait-on, étaient l'œuvre des Sages d'Hyperborée, mais la plupart des experts s'accordaient à dire que lesdits Sages avaient déjà disparu à cette époque.

Le Docteur et l'ImpératriceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant