« A l'heure actuelle, le plus grand danger auquel nous soyons confrontés, l'arme favorite du Complot International, est la racista seneca, ou racisti seneces au pluriel : des vieillards desséchés, qui attaquent à vue les adolescents et certains adultes. Ces monstres, reconnaissables à plusieurs signes que nous détaillerons par la suite, sont les yeux, les oreilles, le bras armé et le zygomatique gauche du Complot. »
Zébulon de Saint-Pierre, La Conspiration des retraités
Le docteur Ðomšk Z Schmidt van Fjeplburg (prononcer « diomchkeu Z chmit fane fielpelbourq » ou, pour les puristes : [djc:mʃkə zɜd ʃmit fan fje:pəlbuɾk]) était un savant croate issu de l'aristocratie néerlandaise qui se plaisait à tout étudier, lire ou manger selon le cas. C'était un érudit dans toutes les disciplines qui l'intéressaient, c'est-à-dire effectivement toutes à l'exception notable de la cosmographie auriculaire (science méconnue apparue douze secondes avant l'accident qui tua son créateur) et de l'art du bras de fer (qu'il avait en horreur).
S'il se servait d'une canne et portait des lunettes opaques, c'était parce que, longtemps auparavant, il avait perdu l'usage de la jambe gauche et l'œil gauche lui-même.
Comme il aimait manger, le docteur Schmidt voulait un cuisinier qui, disait-il, se devrait d'être le meilleur. Il avait finalement choisi pour cette tâche Marila Âl Iram, allemande d'origine libanaise qui était formée à la cuisine française et indienne, et dont l'anglophobie assurait la qualité des plats.
* * *
Et c'est ainsi que Zébulon arriva au domaine du docteur Schmidt. Il vit d'abord une grande vallée. Les basses montagnes qui l'entouraient étaient couronnées de bois touffus dans lesquels le docteur aimait se promener. La propriété s'étendait sur l'ensemble de la vallée. C'était une vaste prairie dans laquelle broutaient consciencieusement vaches, moutons, poules et dragons de Komodo. Au milieu de ce décor idyllique se dressait le sympathique cottage du docteur, un ensemble de bâtiments typiques de la Slavonie méridionale, constitué d'un corps d'habitation principal et de plusieurs bâtiments annexes groupés en demi-cercle autour d'une cour.
Le corps d'habitation (au centre) était le lieu de vie, là où se situaient les chambres (trois en tout), la cuisine (royaume de Marila Âl Iram), la salle à manger, le salon, le bureau (dans lequel le docteur écrivait et travaillait une partie du temps), le grenier et la cave.
Le bâtiment des expériences était situé au Nord du corps d'habitation, c'est-à-dire à droite de celui-ci quand on se tenait dans la cour et qu'on le regardait. Au rez-de-chaussée se trouvait le gigantesque laboratoire du docteur. Le premier étage abritait un bureau secondaire et divers instruments. Il était possible de passer du corps d'habitation au bâtiment des expériences en traversant le rez-de-chaussée de la tour d'astronomie qui était surmontée d'une coupole d'observatoire, unique élément d'apparence moderne, qui contrastait fortement avec les colombages et les toits de chaume des divers bâtiments.
Au Sud du corps principal (donc à gauche du point de vue de qui se trouve dans la cour et regarde le corps d'habitation) se trouvaient les abris pour animaux ; à droite du bâtiment des expériences, on pouvait voir l'annexe renfermant les outils de jardinage et d'élevage ainsi que la poissonnerie dans laquelle se trouvait un cachalot endormi que, chaque jour, Marila allait traire pour récolter le suc rébarbatif nécessaire à la confection des compotes faites maison qu'affectionnait le docteur.
* * *
Zébulon était arrivé au cottage depuis quelques semaines déjà lorsqu'il apprit l'existence du Complot. Le déjeuner avait été servi et les trois occupants du cottage mangeaient des saucisses traditionnelles bleues (typiques de la Slavonie occidentale) accompagnées d'une purée de topinambours farcis. La table, presque rectangulaire, était présidée par le docteur Schmidt à la droite duquel était assis Zébulon. En face de ce dernier se tenait Marila. Le docteur venait de terminer son plat.
« C'était excellent, lança-t-il à Marila sur un ton de reproche.
- Je ne vois pas en quoi ça vous gêne ! rétorqua celle-ci.
- En général, vos plats sont sublimement succulents, pas juste excellents » repartit froidement le docteur.
Un ange passa. L'apercevant, le caméléon de garde déploya sa langue, l'attrapa et le goba. Zébulon prit timidement la parole :
« Docteur ? demanda-t-il, la vieille dame, pourquoi elle a tué mes parents ? Et mon frère ? »
Marila le regardait avec compassion. Si Zébulon avait pu voir à travers les lunettes du docteur, sans doute aurait-il vu son œil unique le fixer avec une certaine tristesse. Tel, toutefois, n'était pas le cas. Le docteur soupira doucement et sourit d'un air triste.
« C'est une longue histoire, Zébulon, une longue histoire ... »
Et le docteur entama d'un même mouvement son récit et son pancake. Plusieurs dizaines d'années auparavant, alors que le jeune mais déjà influent Ðomšk Schmidt participait au Congrès annuel de nihilsémantiglossie à Vienne, un homme entre deux âges lui avait démoli l'épaule pour attirer son attention. Or cet homme n'était autre qu'un agent de l'Officium Vaticani pro Dei secreta Securitate (ce qui signifie : Office du Vatican pour la sécurité secrète de Dieu) ou Ovades, le service de renseignement du Saint-Siège. Il déclara que lui et ses collègues avaient besoin du docteur pour analyser et comprendre certaines données qu'ils venaient de recevoir. Le jeune homme accepta et une semaine plus tard, il partait pour le Vatican. C'est là qu'il découvrit le fonctionnement du puissant et méconnu Ovades. Et surtout, c'est là qu'il découvrit, en analysant lesdites données, le Complot International.
« Une poignée d'hommes, six peut-être, pas plus. Et ils dirigent le Monde. Ou alors ils veulent le diriger, on ne sait pas très bien.
- Pourquoi personne ne les arrête ? demanda Zébulon
- Parce qu'on ne les connait pas. Pas tous. Nous sommes quasiment certains que le professeur Prosov, de l'Université de Moscou, en fait partie.
- Et quel rapport avec mon frère et mes parents ?
- Le Complot International a créé de redoutables monstres, les racisti seneces. Ils ont l'air de vieillards, mais en réalité ce sont des machines à tuer. Mais ils ont quelques défauts. Ils attaquent à vue tout ce qui ressemble de près ou de loin à un jeune. Comme ton frère. Et quand ils ont tué quelqu'un, ils essaient de s'arranger pour qu'il n'y ait pas de témoin. Ils tuent tout le monde. »
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Le Docteur et l'Impératrice
FanteziePourquoi ont-ils tué les parents de Zébulon ? A quoi travaille l'étrange Sir Ogier de Pique ? Que fait le Christ amnésique dans cet hôpital psychiatrique ? Quel complot se trame dans l'ombre ? Pour répondre à ces questions, un seul endroit : le Coll...