Chapitre 3 - Petite initiation au massacre

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« La Guerre, dit Dieu, n'a jamais commencé et ne finira jamais. La Guerre est partout, et nul homme sur la Terre ne la comprend dans son ensemble, car elle est trop complexe. Il y a trop de belligérants. Trop de batailles. Trop d'armées sont impliquées pour que quiconque les connaisse toutes. Aucun soldat ne sait qui il affronte, qui il tue, qui le tue. Nul ne connait la raison de la Guerre. Nul ne souhaite sa fin, car tous sentent qu'elle est liée à l'existence même du Monde. La Guerre est une loi de la nature, une réalité évidente, une condition nécessaire à la survie du Monde en même temps qu'une conséquence de cette survie. La Guerre est, c'est tout. »

Pseudo-Freud, Le Divin Doute

La roue du Véhicule passa dans un nid-de-poule. Le cahot réveilla le docteur Schmidt. Celui-ci s'était encore endormi sur sa table de travail, plongé dans ses vieux grimoires. Plus le temps passait, plus il était persuadé d'avoir retrouvé la trace du grand secret d'Ubortol. Et plus il était malade aussi. Malade d'une maladie qu'il avait attrapée bien des années auparavant, une maladie mortelle. Par deux fois déjà, il avait réussi à tromper le mal qui le rongeait, à survivre. Il était prêt à le faire une troisième fois. Il n'avait pas fini son œuvre, il fallait recommencer, affiner encore la méthode. Le docteur toussa. Marila voulait le mettre au régime. Il sourit. Elle ne savait pas. Au contraire, il devait impérativement prendre du poids. Le docteur regarda à travers ses lunettes opaques la feuille qu'il avait couverte de caractères plus ou moins déchiffrables au cours de la nuit. DY 452 CS, le code d'Ubortol aux nombreuses significations. Il en avait découvert une, mineure, avant que la maladie le prenne. Oui, il avait déjà décrypté le Code, mais c'était il y a longtemps. Et ce qu'il avait trouvé n'était pas vraiment la voie de la sagesse. C'était un sens accessoire du Code d'Ubortol, sans importance réelle.

A présent, il avait une nouvelle piste, celle du Roi des Cons. Ce qu'avait écrit Georges Brassens n'était pas une simple chanson, c'était une prophétie. Le docteur Ðomšk Z Schmidt van Fjeplburg en était convaincu. Mais pour l'heure, il devait manger.

* * *

Il faisait un temps magnifique. La table avait été dressée au sommet de la tour du Véhicule. Marila s'était surpassée et avait concocté la meilleure salade de brocolis farcis à la polonaise que la Terre eût jamais vue. Pour l'heure, le colonel attaquait avec appétit sa troisième part de tarte aux pommes, Marila Âl Iram essayait d'en donner une quatrième au docteur, lequel tentait de la refuser, Zébulon, soucieux, contemplait le paysage.

« Je sens les cahots de la route, commença-t-il. Cela signifie que le Véhicule avance, n'est-ce pas ?

- Tout-à-fait, répondit le docteur. Marila ! s'exclama-t-il quelques secondes plus tard d'un ton exaspéré. Voulez vous bien reposer cette part de tarte ? »

L'intrépide cuisinière essayait à présent de le faire manger de force en marmonnant force menaces et imprécations.

« Mais, reprit Zébulon de Saint-Pierre, si nous avançons toujours, comment se fait-il que le paysage ne défile pas ? Pour prendre un exemple concret, comment est-il possible que je sois assis à l'ombre du même marronnier depuis le début du repas ?

- C'est un phénomène relativement rare sans être exceptionnel – c'est inutile, Marila, je ne la mangerai pas – connu sous le nom de Course de la Reine Rouge – sérieusement, comment voulez-vous que je fasse un régime si vous me gavez ? s'insurgea le docteur avant que Marila ne lui saisisse les mâchoires d'un geste brusque. Gggglarggllllouillouihiiiirrg ! dit-il finalement quand elle réussit à lui enfoncer la part de tarte dans la gorge (N.d.l'A. : Sujet à controverse. Selon d'autres sources, le docteur aurait plutôt dit : « Guggglarggllllorglilili »).

Le Docteur et l'ImpératriceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant