Chapitre 38

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En rentrant ce soir là, j'avais rejoint mon père dans la cuisine où il découpait consciencieusement des légumes.

- Salut... Meredith n'est pas là ?

- Son fils aîné est revenu de Thaïlande. C'était le moment des retrouvailles familiales, je suis resté seul. Et toi alors, tout va bien ?

- Paumée. J'ai l'impression de répéter ça continuellement.Demain c'est férié et il fera aussi beau qu'aujourd'hui, je vais essayer d'en profiter.

- Et avec ta mère ?

Sa voix se brisa.

- Lui pardonner m'est impossible. C'est encore trop tôt... A supposer que j'y arrive un jour.

- J'y suis arrivé, me répondit-il en essayant d'y mettre toute la conviction dont il était capable. Avec le temps cela devrait aller mieux. Vous vous ressemblez tellement.

- Peut-être, soupirai-je. Mais il y a une chose qui nous diffère.

- Ah oui ?

- Je ne te laisserai jamais tomber...

Sa main trembla légèrement de surprise et le morceau de poivron restant sauta plus loin sur le plan de travail.

Je n'étais toujours pas capable de lui dire que je l'aimais, que j'étais reconnaissante de tout ce qu'il avait pu faire pour moi, mais c'était suffisamment fort pour susciter une vive émotion de sa part.

Il m'embrassa le front avec douceur avant de murmurer un « pardonne-moi » si sincère, qu'il excusa à lui-seul les pires souvenirs que j'avais de ces dix dernières années.

Incapable de poursuivre, je m'étais ensuite isolée sur le balcon que j'évitais comme la peste depuis mon anniversaire. Mon téléphone avait tout juste assez de batterie pour que je remarque les messages de Jules et Thomas qui m'attendaient.

Je n'étais pas du genre à prendre des risques, à me faire remarquer. Ils le disaient tous : Lucie la réservée, la susceptible, l'insipide... Alors comment avais-je pu me mettre dans un pétrin pareil ? Comment pouvais-je plaire à l'un comme à l'autre en étant aussi banale ?

Dans tous les cas, mon choix était fait et nous finirions sans doute par en souffrir tous les trois.

_______

Je n'étais encore jamais allée au lycée aussi gaiement. Mes pas sur le sol carrelé me paraissaient légers comme l'air et un timide sourire étirait la commissure de mes lèvres. Prendre une telle décision n'avait pas été facile, bien au contraire, et je n'étais pas certaine de mesurer l'impact que cela aurait sur ma vie. Allais-je ressentir un manque effroyable à chaque fois que j'aurais besoin de réconfort ? N'allais-je pas regretter mon choix irrémédiable ?

Certes il était patient, il le disait lui-même, mais pas complètement stupide. Il ne m'attendrait pas si je me rendais compte de mon erreur dans quelques mois ou même années. On ne pouvait pas tirer sur la corde indéfiniment.

Je venais de perdre un ami précieux, une personne qui m'avait aidée à rendre cette année riche en événements plus agréable, quelqu'un que je n'oublierai jamais, n'en déplaise au second. Mais il était trop tard pour revenir en arrière, je n'avais plus qu'à affronter la nouvelle réalité qui m'attendait.

Je dévalai en toute hâte les escaliers du lycée, croisant Gwen et Cécile au passage :

- Pas trop dur ce week-end ? m'interrogea Cécile.

- Ascenseur émotionnel je dirais. Vous savez où est Taïna ? Il faut que je lui annonce quelque chose. Elle va être contente.

- C'est-à-dire ? enchaîna Gwen suspicieuse.

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