Algocratie

Onzième chapitre

Janvier 2186 - Age d'Octave - 44

Le quartier de Munich n'avait jamais connu une telle effervescence. Près d'un million de personnes affluaient vers l'OlympiaStadion, et pas moins de dix milliards d'humain s'apprêtaient à assister à la retransmission footballistique. Celle de l'ouverture de la Coupe du Monde 2186.

Il ne s'agissait pas d'un simple match, mais plutôt d'un affrontement entre les deux zones du monde, dont l'enjeu était bien plus que symbolique. L'impartiale SportWorld, seule entité indépendante des deux zones, jouait le rôle d'arbitre.

Des milliers de drones de transport convergeaient en flux continu vers les zones d'atterrissage, aux douze entrées du stade. Tous étaient gris sauf quelques-uns rouges, et réservés aux grades supérieurs. Les carrosses.

Ils n'étaient pas plus confortables ou plus rapides que les autres. Leur unique singularité résidait dans leur couleur rouge, différente de tous les autres transporteurs. Un détail loin d'être insignifiant, puisqu'il contribuait au prestige social. Deux siècles plus tôt, les mêmes élites se seraient déplacées dans des voitures de luxe, inutilement couteuse en ressources. En 2186, un signe distinctif symbolique suffisait à produire le même effet.

L'un de ces carrosses vint se poser dans la zone d'atterrissage de la porte F, où la foule s'écarta pour lui faire place. Les passants oublièrent un instant la file d'attente pour observer l'apparition de ses occupants.

Ce fut Octave qui en sortit, accompagné de Spionna. Tous deux rayonnaient de leur récente accession à la célébrité, souriant avec confiance aux journalistes et bloggeurs qui s'agglutinaient autour du carrosse.

Neuf mois s'étaient écoulés depuis la mémorable victoire d'Octave à l'Assemblée. Il était parvenu à convaincre les oxydriens de suivre ses trois mesures de soutien à l'Afrique. En le préférant aux Pacifistes, le peuple l'avait propulsé au centre de l'actualité. Fort d'une médiatisation nouvelle, son discours trouvait un écho patriotique en Oxydria. L'espoir de voir l'Ouest renaitre émergeait, porté par ceux qui n'avaient pas connu la dernière guerre.

Octave était leur porte étendard.

Le Roi lui-même semblait s'inquiéter du vent nouveau qu'il sentait souffler jusqu'en zone opposée. En réponse, il avait formulé une étrange demande de rendez-vous diplomatique. Etrange parce qu'il demandait à utiliser le téléphone rouge, alors que la diplomatie se passait de ce moyen de communication formel depuis quarante ans. Etrange aussi, parce qu'il ne souhaitait pas discuter avec l'Interprète, mais avec le délégué Banks, instigateur des mesures incriminées.

L'engouement autour de cet entretien contribuait à la notoriété d'Octave, et son grade culminait en profitait, à vingt-huit.

Il tendit la main à sa femme pour l'aider à descendre, ce qu'elle fit avant de gonfler sa tunique contre le froid. Elle était parfaite dans son rôle de starlette, resplendissante de la fierté d'avoir quitté le monde des quidams pour celui des célébrités.

Elle vivait son rêve dans la réalité désormais, profitant de toutes les éloges et attentions qu'entrainaient la gloire soudaine d'Octave. Mais cela ne suffisait pas à la combler de bonheur. La situation lui inspirait même une grande frustration intérieure, car le public ne la voyait qu'en tant que femme de. Et quoiqu'elle fasse désormais, cela ne changerait pas. En quelque sorte, Octave avait gâché l'ambition de sa vie en se faisant connaitre avant elle.

Elle activa l'application JackEye pour entamer une rediffusion d'elle-même, en direct sur son profil LifeWatch. En tant que star d'holoréalité, elle se devait de partager au maximum les péripéties de sa vie avec ses fans, quitte à les exhiber sans aucun filtre. Mais elle n'était pas dupe de ses fortes audiences. La plupart de ses abonnés désiraient en réalité voir Octave par son biais.