Troisième chapitre

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Juillet 2184 - Age d'Octave - 43


― Mes chers enfants, articula le recteur de Hambourg. Vous achevez aujourd'hui votre cursus scolaire et, à moins d'avoir perdu quelques points d'admiration en route, vous remportez ici votre cinquième grade. Mes félicitations !

Une clameur s'échappa de la masse compacte des étudiants, réunis sur le toit de leur tour-école. De grandes tribunes modulables accueillaient les familles des terminants, faisant ressembler l'endroit à un stade haut-perché. Selon la tradition, les étudiants avaient coloré leurs tuniques en bleu et rouge, les couleurs de l'Oxydria. Des drapeaux flottaient un peu partout, sous les rafales du cent-cinquantième étage.

Le recteur n'ignorait pas la crainte qu'il avait inspirée toute l'année à ses étudiants. Il savait qu'à ce titre, qu'un moment de légèreté de sa part le rendait par contraste, doublement sympathique. Il attendit que le silence se fasse avant de continuer dans son amplificateur de voix.

― Il y a vingt-deux ans, vous entriez pour la toute première fois dans la tour des accompagnateurs de votre quartier. Vous avez gravi les étages un à un, pour en atteindre le dernier aujourd'hui. En tant que terminants, vous allez à présent faire votre entrée dans la vie publique. Votre esprit critique est affuté. Vous avez engrangé suffisamment de connaissance, pour que le droit de vote vous soit octroyé !

Les étudiants avaient coordonné leurs tuniques pour afficher une mosaïque de couleurs en mouvement. Le recteur reconnut la tête d'aigle dorée sur fond de bandes rouges, bleues et blanches : le drapeau d'Oxydria. Un tel hommage à la patrie lui donna le sentiment qu'une fois encore, il avait bien fait son travail.

― Comme de coutume, reprit-il, un délégué siégeant dans l'une de nos dix assemblées a préparé quelques mots. Celui qui a tenu à venir n'est pas le moindre d'entre eux. Son vote représente près de deux pourcents de la décision finale de son assemblée. Je vous demande d'accueillir comme il se doit le fameux délégué de la Guerre, Octave Banks.

Les terminants applaudirent sans enthousiasme, attestant du fait qu'ils ne le connaissaient pas pour la plupart. L'hologramme géant qui flottait au-dessus de l'estrade matérialisait déjà Octave, assis dans la tribune principale. A côté de son buste, une jauge s'afficha.

Il abhorrait cette coutume de la jauge.

Eminent membre du parti des Diplomates à l'Assemblée de la Guerre, Octave avait l'habitude de ce genre de meetings, mais ne les appréciait guerre. Malgré les comprimés qu'il prenait contre le stress, ses mains étaient toujours moites avant de monter sur l'estrade, et la jauge n'y arrangeait rien.

Elle servait à indiquer en direct à quel point le public appréciait une prestation. Ce thermomètre de l'auditoire commençait à la moitié de sa hauteur, pour varier ensuite selon les notes du public. Il arrivait qu'un orateur tombé trop bas, écourte son discours devant le constat qu'il n'intéressait plus personne. Afin d'éviter une telle déconvenue, la plupart des intervenants prévoyaient des fins alternatives à leurs discours. Cela permettait de les raccourcir si nécessaire, et éviter l'humiliation d'une jauge quasi-vide durant de longues minutes.

La note sur cent à la fin d'un discours était prise en compte dans l'évolution du grade. Cela fonctionnait de la même manière pour un auteur, un chanteur ou un humoriste : le feedback du public comptait pour son rang social. Dans le cas présent, comme l'audience n'était pas haute-gradée par rapport à l'orateur, l'influence de la note finale pour Octave ne provenait que du nombre élevé de spectateurs.

Brian savait au rythme cardiaque d'Octave qu'il était anxieux, et tenta de le soutenir.

« Les étudiants, c'est toujours pareil. Ils n'aiment pas les politiciens. Ceux-là veulent juste qu'on leur dise à quel point l'Oxydria est une grande nation et à quel point ils y appartiennent. Crois-moi, tout ira bien. »

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