Vingt-et-unième chapitre

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Mai 2187 - Age d'Octave - 46


En ces temps troublés, le commandement des armées ne pouvait s'autoriser aucune insubordination. Aussi, le quartier général oxydrien s'était-il délesté de ses généraux les plus opiniâtres.

Installé devant la carte holographique centrale, l'Interprète était fébrile. Son titre ne tenait plus qu'à un cheveu, tandis que ses soutiens se tarissaient au rythme des défaites militaires. Désormais, son sort était presqu'entièrement corrélé à l'évolution sur le terrain, et il passait la majorité de son temps au quartier-général, à analyser l'évolution des forces en présence.

Octave tardait à appliquer la stratégie d'Amanda, car malgré les conseils de Brian, quelque chose ne collait pas. Recourir à Mars revenait à admettre l'infériorité militaire oxydrienne, ce qui allait à l'encontre de ce qu'il avait promis au peuple.

― Répondez-moi simplement, dit-il. Est-ce qu'on devrait abandonner l'Afrique ?

Le généralissime McLyster dodelina de la tête.

― La moitié des africains vit à présent dans la ville géante du Prince, au Cameroun, qui accueille aussi bien les mercenaire repentis des héritiers. Le niveau de désertion chez nos ennemis s'accélère, et le temps joue donc en notre faveur. La révolution non-violente de Karim soit en passe de réussir...

― Donc plus besoin de nous, tenta d'abréger Octave. On peut rapatrier nos troupes en Europe ?

― Ce n'est pas ce que je dis, Interprète. On tient toujours trois grandes villes, et les héritiers n'épargneraient pas les civils...

Le regard d'Octave alla du général à la courbe érodée de ses points d'admiration. Il ne la refermait plus jamais, obsédé par sa chute. Les oxydirens commençaient à craindre l'invasion de l'Europe, ce qui lui coutait cher. Il lui fallait une victoire rapide sur le vieux continent pour rassurer et redresser sa cote de popularité.

― En sept mois, vous n'avez même pas conquis le Maroc en entier, généralissime ! dit-il. Et ce n'est pas grâce à nous que Karim est en passe de gagner !

McLyster, chez qui l'exaspération d'Octave n'avait engendré aucun changement d'humeur, exposa son point de vue.

― En abandonnant les villes africaines, dit-il, la confiance risque de changer de camp, et...

― Il faut reprendre nos terres aux russes, le coupa Octave. Vous ne comprenez pas ? La confiance, on ne la gagnera qu'avec une victoire en Europe !

― La muraille mobile sera prête dans un mois, Interprète. Et en même temps, on prépare une embuscade d'ampleur en Roumanie. On va les bloquer.

― Ha oui ? Alors expliquez-moi pourquoi tout le monde fuit ce putain de continent. Pourquoi l'Assemblée des Ressources transfère tous ses stocks en Amérique ? Pourquoi l'Assemblée Générale y fait construire un second Cerveau ?

Les autres généraux le regardaient gesticuler sans s'aventurer au moindre commentaire.

— Il faut reconquérir, répéta Octave. La défense n'est pas assez spectaculaire pour qu'on rédige des articles ! Il faut la vendre mieux que ça, votre guerre... Trouvez des héros sur lesquels communiquer et attaquez, bon-sang ! Attaquez !

Sans s'être adressé à quiconque en particulier, le ton d'Octave était agressif.

― Délégué-Interprète, osa McLyster. Avec tout le respect que je vous dois. Mon conseil est de ne pas nous attarder sur les terrains agricoles perdus en Europe. Il faut laisser les russes avancer encore, jusqu'à un terrain qui nous soit plus propice.

― Général. On n'a pas un mois devant nous !

D'un geste, il afficha sa courbe de pondération au-dessus de la table centrale.

― Regardez ! Depuis qu'on se connait ou presque, McLyster, cette courbe ne fait que descendre. Bientôt je ne serai plus Interprète, et c'est un Pacifiste qui prendra ma place. Dans l'instant, il renégociera un tribut encore plus cher. L'opinion publique est fragile, et faute de preuves régulières, elle s'échappe. Je ne demande qu'une seule victoire ! Attaquez, c'est votre boulot !

Cette fois, McLyster adopta un ton moins courtois.

― Je ne vous l'apprends pas. Lorsque deux armées professionnelles s'opposent de nos jours, elles avancent et reculent bien souvent sans s'affronter. Nos estimations du rapport de force sont si réalistes, qu'on finit par se retirer à chaque fois qu'on se sait perdant. Et de l'autre côté, ils font exactement la même chose : s'ils progressent en ce moment, c'est parce qu'ils sont gagnants. Et nos victoires du départ n'étaient en fait qu'un replis stratégique de leur part.

— Ok, et on se retire jusqu'à quand ?

— Jusqu'à ce qu'on identifie un terrain plus propice, je vous l'ai dit.

― Savoir calculer que nous allons perdre ne nous fera pas gagner, généralissime ! Il eut été préférable d'avoir des soldats dans votre armée, plutôt que des mathématiciens !

Un message de Brian le coupa dans son élan.

« Calme-toi Octave. Si tu montres ton stress, tu perdras leur respect. »

Il s'efforça de retrouver son calme, et fit mine de mieux prendre en compte l'avis qui venait de s'exprimer.

― Est-ce qu'on est sûrs au moins que ça va marcher, votre embuscade ?

― D'après le Cerveau, la bataille aura lieu dans deux mois environ. Ses prédictions sont imprécises, car il manque de connaissances sur les orientaux. Mais ce sont les meilleures chances que nous ayons identifiées à moyen terme.

La réponse du généralissime renforça l'anxiété qu'il tentait de cacher.

― Dites plutôt que vous n'en savez rien !

« Parle-leur de Mars, suggéra Brian. Il n'y a plus d'autre choix. »

Octave desserra le col de sa tunique pour mieux respirer, et se leva pour faire quelques pas. Après tout, pourquoi ne pas l'écouter ? Toutes les autres solutions demandaient un temps qu'il n'avait pas. Celle du putch martien avait l'inconvénient d'être déloyale, mais elle seule pourrait restaurer la confiance avant sa déroute personnelle. C'était sa dernière chance.

― Il y a autre chose que nous pouvons faire, déclara-t-il au collège de militaires.

Le généralissime s'attendait au pire.

― Nos colons sur Mars sont en possession d'un virus. Un virus mortel. S'il se répandait dans l'aile orientale de Newpolis, les livraisons de lox à destination de l'Orient seraient terminées... Et doublées chez nous.

McLyster baissa la tête, évaluant pour lui-même la pertinence d'un tel projet.

― Couper leurs approvisionnements en lox... répéta-t-il. Les Prémiums n'auraient plus que quelques mois d'autonomie. Ça pourrait être un tournant !

― Je préfère vous entendre dire cela généralissime. Il ne vous reste donc plus qu'à donner le signal aux maires de Newpolis !

Il était soulagé un peu soulagé son soutien, conforté dans le miracle de cette solution.

Pourtant, son esprit était trop cartésien pour croire aux miracles, et il ne pouvait refreiner un mauvais pressentiment.

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