Dixième chapitre

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Octobre 2158 - Age d'Octave - 17


« Programme d'accompagnement d'Octave : Vous devez susciter une réaction d'orgueil de sa part au cours du diner. Pour 5 points d'admiration. »

Engoï releva la tête de son bracelet et observa Octave qui mangeait sa salade d'insectes en silence. La mission s'annonçait compliquée. Etant donné le niveau d'apathie de l'adolescent, il était difficile de susciter ne serait-ce qu'une réaction tout-court.

Octave était peu sociable, constamment perdu dans ses pensées. C'était comme s'il n'appartenait pas au même monde que les autres. Il sortait rarement, ne participait ni aux compétitions sportives, ni à leur organisation et il n'avait aucun ami proche. Sans talent ni parent, convaincu de ne pouvoir échapper au destin médiocre qu'on lui prédisait, sa mélancolie progressait sur un terrain fertile.

Chaque soir, il n'avait d'autre choix que de diner avec son accompagnateur, dans une cellule fermée de la salle commune. Les conversations du vieux professeur de philosophie ne l'intéressaient guère, et il ne se privait pas de le lui faire savoir.

L'éducateur commandait toujours le même menu pour lui-même : une sorte de ragoût à base d'algues. Et il chargeait la même ambiance vieillotte de salle à manger du XXème siècle. Dégouté par l'odeur marine de la soupe et lassé par le décor, Octave peinait à supporter cette routine immuable. Il n'y trouvait pas plus d'intérêt qu'au reste de la tour-école, d'où il ne sortait pourtant jamais.

Poussé par les conseils pédagogiques du Cerveau, Engoï entreprit d'engager le dialogue.

― T'as choisi ta spécialisation pour le grade quatre, finalement ?

Non.

Laconique, Octave semblait peu enclin à approfondir le sujet.

― T'auras dix-huit ans dans quelques mois, relança l'accompagnateur. C'est le moment de choisir dans quoi tu veux postuler pour l'épreuve du grade quatre. A ton âge, Matis l'avait déjà...

― Je sais ! s'énerva Octave. Tu me le répètes assez souvent !

L'adolescent se sentit rougir, et plongea le nez dans sa salade, espérant en vain que l'accompagnateur ne le remarque pas.

« Suite à la réaction d'orgueil d'Octave, vous gagnez 5 points d'admiration. »

Pour autant, Engoï estima qu'il tenait là une discussion constructive. Aussi, il prit l'initiative d'outrepasser sa mission.

― Je sais à quel point c'est dur de trouver sa place dans notre société... Autrefois, c'était plus simple. On n'avait pas le choix. On allait là où il y avait du travail. Choisir ce que l'on aime est mille fois plus compliqué que de trouver les débouchés porteurs, je te l'accorde. Mais aujourd'hui, celui qui n'a pas de passion finit par ne rien faire...

― Pour les autres, c'est facile ! Matis est doué dans presque tous les sports. Moi, on me choisit toujours en dernier pour faire les équipes. Les commentaires de mon LifeWatch disent que des trucs pourris... Je veux bien m'entrainer, mais ça ne marche pas ! Je suis nul dans tout... A quoi est-ce que je pourrais bien m'intéresser !

Il leva furtivement les yeux vers son éducateur afin de guetter sa réaction.

― Tout le monde à une passion, Octave. Et tout le monde à ce qu'il faut pour exceller en la pratiquant !

Qu'est-ce que t'en sais ? Et si ma passion, c'était un truc qui sert à rien, comme les maths !

Engoï devait admettre que c'était une possibilité. Il pouvait y avoir des passions obsolètes. Un individu doué pour les mathématiques était en effet inutile à côté de la puissance du Cerveau en 2158. Les sciences dures ne servaient plus qu'aux loisirs, sous forme de nourriture intellectuelle pour les Einsteins nés trop tard.

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